L’ART CHRÉTIEN EN AFRIQUE DU NORD

Un résumé de l’histoire du christianisme en Afrique du Nord

Avant de parler de l’art chrétien en Tunisie, je voudrais rappeler brièvement l’histoire du christianisme à Carthage en faisant un résumé de la première partie de notre précédant livret «Carthage éternelle»[1], afin de préciser l’arrière-plan de cette visite.

Sans doute le christianisme a été introduit à Carthage dès le premier siècle. On ne s’explique pas, sans cela, son extraordinaire développement à la fin du second siècle et au début du troisième. A cette époque, le premier concile africain rassemble 70 évêques et Tertullien peut écrire: «Nous sommes une multitude, nous formons presque la majorité dans chaque ville». Le christianisme a été vraisemblablement amené de la synagogue africaine qui se trouvait à Jérusalem aux synagogues de Carthage et des autres villes de la Proconsulaire.

Dans le récit du jour de la Pentecôte, Saint Luc signale la présence à Jérusalem de juifs africains venus des contrées de la Libye voisines de Cyrène. Ils ont entendu la prédication de Saint Pierre. Enfin, la liturgie et l’architecture de l’Eglise de Carthage présentent de nombreux signes d’origine palestinienne.

Il y eut de terribles persécutions en Afrique, comme à Rome. Cependant, l’histoire ne signale pas de martyrs avant les Scilitains en 180, et la conservation des Actes des Martyrs africains (Perpétue et Félicité, Cyprien) permet de croire que la destruction des archives chrétiennes fut moins complète qu’à Rome, où l’on ne sauva guère que les Ecritures Saintes. C’est ce qui donne une valeur exceptionnelle aux récits de la mort des martyrs de Carthage, récits authentiques écrits au moment des évènements.

Au IVème siècle, le christianisme se développe suffisamment dans toute l’Afrique pour que les noms de plus de 700 évêchés soient venus jusqu’à nous. Mais une moitié d’entre eux seulement a pu être identifiée. Par évêché il faut entendre un centre de population urbain ou un assez gros bourg. Bien que certaines ruines soient très pauvres en restes chrétiens, on peut admettre que la majorité de l’Afrique romaine était devenue chrétienne.

La littérature chrétienne d’Afrique brille d’un éclat incomparable. Rome et l’Italie ne peuvent pas présenter un groupe d’écrivains de la valeur de Tertullien, Cyprien, Augustin, Fulgence de Ruspe, Victor de Vita, etc. Malheureusement, l’Eglise d’Afrique fut de tout temps rongée par les schismes et les hérésies, qui proliféraient au soleil du midi.

Les historiens n’ont pas élucidé clairement les causes de la disparition totale du christianisme en Afrique du Nord. Il n’a pas été détruit totalement par les Arabes. Il semble qu’il se soit éteint progressivement au cours des siècles de la domination musulmane. Le peuple chrétien décapité de ses pasteurs végéta, puis agonisa peu à peu au cours de plusieurs siècles (fin XIème siècle).         

Revenons maintenant sur notre sujet, l’art chrétien.

L’art chrétien, une catéchèse vivante

Il est vrai que visiter, contempler, expliquer et découvrir les mosaïques, peintures et sarcophages chrétiens en général dans les différentes parties du monde, et en particulier au Bardo en Tunisie, c’est assister à une catéchèse vivante et toujours actuelle. En effet la catéchèse[2], à tous les âges de la vie, a pour mission d’approfondir la première annonce du Royaume de Dieu, afin que son écho s’amplifie jusque dans la profondeur des existences et des engagements de ceux dont elle a déjà bouleversé le cœur. L’art, en particulier l’art chrétien apparait alors comme un moyen privilégié pour participer à la pédagogie d’ouverture de celui qu’il magnifie: Dieu.

L’entrée dans la symbologie chrétienne par l’expérience de la beauté de ces images sollicite en effet toutes les dimensions de la personne. Il nous faut nos sens et notre sensibilité afin de pénétrer l’image qui se présente devant nos yeux, mais aussi notre mémoire, nos connaissances, et si nous avons une religiosité, aussi notre expérience spirituelle…

Une autre considération nécessaire pour qui rentre dans le monde de la symbologie chrétienne est la suivante: l’artiste chrétien n’est pas livré à son seul imaginaire: son œuvre est ; en communion avec le Christ et en communion avec les piliers de notre foi: les Ecritures saintes, la Tradition de l’Église et son enseignement. Pour cela, il y a ce que l’artiste a voulu dire par son œuvre, et ce que l’œuvre fait dire à son tour. Voilà pourquoi ceux qui la contemplent sont appelés à poursuivre le travail de création de l’artiste, en se laissant façonner par son œuvre, en exprimant ce qu’elle éveille en eux.

Définition de l’art chrétien

On appelle donc art chrétien toutes les formes d’art dont le thème s’inspire de la religion chrétienne dans le but de soutenir la foi et l’esprit religieux. Les arts sacrés «visent, par nature, à exprimer de quelques façons dans les œuvres humaines la beauté infinie de Dieu, et ils se consacrent d’autant plus à accroître sa louange et sa gloire qu’ils n’ont pas d’autres propos que de contribuer le plus possible à tourner les âmes humaines vers Dieu»[3].

 Les origines de l’art chrétien[4]

«L’art que le christianisme rencontra à ses origines était le fruit mûr du monde classique, il en exprimait les canons esthétiques et en même temps il en véhiculait les valeurs. La foi imposait aux chrétiens, dans le domaine de l’art comme dans celui de la vie et de la pensée, un discernement qui ne permettait pas la réception automatique de ce patrimoine. L’art d’inspiration chrétienne commença ainsi en sourdine, étroitement lié au besoin qu’avaient les croyants d’élaborer des signes pour exprimer, à partir de l’Écriture, les mystères de la foi, et en même temps un «code symbolique», à travers lequel ils pourraient se reconnaître et s’identifier, spécialement dans les temps difficiles des persécutions. Qui ne se souvient de ces symboles qui furent aussi les premières esquisses d’un art pictural et plastique? Le poisson, les pains, le pasteur, évoquaient le mystère en devenant, presque insensiblement, les ébauches d’un art nouveau.

Quand, par l’édit de Constantin, il fut accordé aux chrétiens de s’exprimer en pleine liberté, l’art devint un canal privilégié de manifestation de la foi. En divers lieux commencèrent à fleurir des basiliques majestueuses dans lesquelles les canons architectoniques du paganisme ancien étaient repris et en même temps soumis aux exigences du nouveau culte. Comment ne pas rappeler au moins l’ancienne Basilique Saint-Pierre et celle de Saint Jean de Latran, construites aux frais de Constantin lui-même ? Ou, pour les splendeurs de l’art byzantin, la Haghia Sophía de Constantinople, voulue par Justinien ?

Alors que l’architecture dessinait l’espace sacré, le besoin de contempler le mystère et de le proposer de façon immédiate aux gens simples conduisit progressivement aux premières expressions de l’art pictural et sculptural.

Les moments difficiles ne manquèrent pas tout au long de ce chemin. Précisément à propos de la représentation du mystère chrétien, la période antique connut une controverse très dure, qui passa dans l’histoire sous le nom de «querelle iconoclaste». Les images sacrées, qui s’étaient largement répandues dans la dévotion populaire, furent l’objet d’une violente contestation. Le Concile célébré à Nicée en 787 fut un événement historique, non seulement du point de vue de la foi mais aussi pour la culture, en décidant la licéité des images et du culte qui les entourent. Pour régler la controverse, les Évêques firent appel à un argument décisif : le mystère de l’Incarnation. Si le Fils de Dieu est entré dans le monde des réalités visibles, en jetant par son humanité un pont entre le visible et l’invisible, il est loisible de penser, de manière analogue, qu’une représentation du mystère peut être employée, dans la logique des signes, comme une évocation sensible du mystère. L’icône n’est pas vénérée pour elle-même, mais elle renvoie au sujet qu’elle représente».

Les arts et l’artisanat chrétien en Afrique du Nord[5]

À partir du IVème siècle ap. J.-C, on assiste, en Afrique du Nord, à la naissance d’un véritable art chrétien qui introduit un nouveau répertoire, sous les formes élaborées aux siècles précédents. Fortement marqué par la tradition, l’art ne se renouvelle d’abord que dans les thèmes iconographiques, dont certains sont d’ailleurs seulement la reprise des thèmes anciens.

Les mosaïques

A la fin du IVème siècle ap. J.-C, il s’est constitué à Carthage un répertoire spécifiquement chrétien, dont les divers motifs animaliers, végétaliers et géométriques se rencontrent sur les mosaïques tombales et sur celles qui servaient à décorer les édifices religieux. Ces pavements ont été exécutés par des ateliers installés autour de Carthage.

La sculpture

La plupart des sarcophages chrétiens de Carthage sont taillés dans la pierre locale du kadhel, extraite des carrières non loin de Carthage. Le répertoire iconographique de ces sarcophages est admirable et consiste essentiellement en des thèmes bibliques dont Jonas, Daniel dans la fosse aux lions (confiance dans la souffrance et la persécution, et résurrection de la chair), thèmes eucharistiques et surtout le Bon Pasteur comme l’on peut apprécier dans la salle de Constantin du musée. Ils se caractérisent aussi par la présence des médaillons placés dans la partie centrale des sarcophages avec parfois une épitaphe, une croix ou un chrisme. Sur le plan technique, on a constaté par la lecture de plusieurs ouvrages que le même type existe à Tarragone en Espagne, ce qui laisse penser qu’il s’agit du même atelier qui a exercé à Carthage et s’est ensuite déplacé vers la Péninsule Ibérique.

Les carreaux et lampes de terre cuite

L’un des éléments importants du décor des édifices religieux est sans doute les carreaux de terre cuite rouge et orangé, utilisés dans le revêtement des murs et des plafonds et les lampes votives utilisées dans les églises ou dans les cimetières. Les types découverts ont été classés provisoirement par R. de la Blanchére[6] en:1. Rosaces; 2. Rosaces à légende; 3. Animaux; 4. Hommes; 5. Sujets bibliques (Adam, Eve, le sacrifice d’Abraham, miracles du Christ); 6. Sujets profanes.

Pourquoi particulièrement représenter des thèmes bibliques ? Saint Jean Paul II disait: «Pour beaucoup d’entre eux (les chrétiens), en des époques de faible alphabétisation, les expressions imagées de la Bible constituèrent même des moyens catéchétiques concrets. Et pour tous, croyants et non-croyants, les réalisations artistiques inspirées par l’Écriture demeurent un reflet du mystère insondable qui enveloppe et habite le monde»[7].


[1] MORENO, Silvio, Carthage éternelle; un pèlerinage dans l’histoire et les ruines chrétiennes de Carthage », Tunis, 2013, p. 15-50.

[2] «…la catéchèse transmet les faits et les paroles de la Révélation: elle doit les proclamer et les raconter et, en même temps, éclairer les mystères profonds qu’ils renferment. D’autre part, la catéchèse fait mémoire non seulement des merveilles réalisées par Dieu dans le passé, mais, à l’aide de la Révélation qui est source de lumière pour la personne humaine, elle interprète les signes des temps et la vie présente des hommes et des femmes, puisque c’est en eux que s’accomplit le dessein de Dieu pour le salut du monde ». Cf. Directoire Général pour la Catéchèse, 1971, 11b.

[3] Cf. Concile Vatican II. « Sacrosantum Concilium », n. 122.

[4] Cf. Saint Jean Paul II. Lettre aux artistes pour le jubilée 2000. www.vatican.va

[5] Je suivrais ici librement quelques notions de la voix IV. Afrique (archéologie de l’) dans le dictionnaire d’archéologie et liturgie de Dom Cabrol et Leclercq, pp. 658ss.

[6] Cf. BLANCHERE, R, «Carreaux de terre cuite à figures découvertes en Afrique», dans la revue archéologique, 1888, t. XI, p. 302 ss.

[7] Cf. Saint Jean Paul II, Lettre aux artistes, 1999.   

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