La figure du Bon Pasteur et de l’orante dans les fragments du sarcophage que nous voyons à côté du baptistère sur le mur, au musée du Bardo en Tunisie, est l’une des premières représentations du Christ et de l’âme chrétienne en Afrique du Nord. Rentrons dans les détails.
1 – Comment sont-ils représentés ?[1]
«Il ne prend pas les attributs dont on affuble, habituellement les dieux. Il prend la figure d’un simple berger. La plupart du temps, il est vêtu d’une ceinture, d’où pend une gourde, ou une besace, des sandales, des jambières ou des guêtres, et il tient des deux mains, les pattes de la brebis perdue qu’il ramène au bercail. Quand une main est libre, il tient le bâton des pâtres, la flûte de Pan, et dans ce cas, s’identifiant au poète légendaire venu de Thrace, il est le nouvel Orphée, qui apporte au monde le chant sauveur de l’Evangile.
Bien souvent c’est un adolescent, aux cheveux bouclés, le regard en avant, la démarche alerte, élégante. Bref, il est l’homme idéal tel qu’il hantait l’imaginaire des païens depuis la Grèce et les chrétiens devaient aimer penser que leur Sauveur fût aussi cet homme. L’expression du Pasteur n’est jamais individualisée. C’est le symbole qui compte: la jeunesse défie la puissance du temps. Toujours jeune, le Pasteur est de tous les temps, hors du temps. Pour reprendre l’expression de Péguy on dirait «Jeune ensemble qu’éternel». La figure pastorale est ordinairement située dans un cadre naturel, elle est entourée de brebis, deux le plus souvent qui résument le troupeau, d’arbres, où nichent des oiseaux, de prairies et de fleurs qui symbolisent le lieu paradisiaque.
L’orante, neuf fois sur dix est féminine, car elle symbolise moins le défunt, à quelque sexe qu’il appartienne, que l’âme du défunt, ou la prière qu’il fait pour son salut, quand ce n’est pas la prière de celui qui jouit de la vision béatifique».
2 – Une image empruntée
«Bien qu’elle soit considérée comme la figure exemplaire de l’art chrétien, l’image du Pasteur fut empruntée au paganisme, de même que celle de l’orante, et bien d’autres encore. Ces emprunts ont surpris les historiens de l’art. Comment se fait-il qu’une religion aussi vigoureuse, aussi originale que le christianisme n’ait pas pu créer ses propres images? Quelques éléments de réponse à cela: On peut répondre que les spécialistes de l’art funéraire étaient de simples artisans qui recouraient à des modèles éprouvés. Mais une autre raison mérite d’être relevée, car il y va de l’essence du christianisme, en particulier du mystère de l’incarnation.
Le message chrétien tout céleste qu’il soit ne peut pas ne point reprendre le langage et les images des hommes, et en même temps, c’est une manière de témoigner que Dieu est venu réellement parmi eux. Et on peut dire, à la suite de Tertullien, que l’image du pasteur, comme celle de l’orante, ne sont pas nées chrétiennes, elles le devinrent… Ainsi donc représenter le Sauveur avec les traits du Pasteur pouvait réveiller dans les consciences, une image latente, symbolique et salvatrice de Dieu ».
3- Remarques sur la symbolique
1-L’image du Bon Pasteur est voilée, afin que seul puisse la dévoiler celui qui pressentait la part d’invisible qu’elle détenait.
2 – L’espérance du salut est si envahissante, qu’elle fait ignorer les thèmes habituels de l’art funéraire. C’est un art funéraire «où la mort est absente. On ne devra jamais cesser de s’en étonner, car à la mesure de cet étonnement, on se rendra capable de toucher la nappe profonde où s’origine, se trie et se détermine la production des images paléochrétiennes: «la confiance illimitée en l’avenir des âmes», qui s’étaient mises sous la protection du «Grand Pasteur» des brebis (He 13, 20) le véritable ami des hommes: «Si le propre de l’art est de dresser des images contre la mort, nul art n’a mieux rempli ce rôle que le premier art chrétien». Ernst Bloch ».
[1] Cf. L’art paléochrétien, Cahiers de culture religieuse, 1997 en www.enseignement-et-religions.org.