LA SALLE « ECCLESIA MATER” AU MUSEE DU BARDO
Cette salle tient son nom de la mosaïque la plus importante: « Valentia Ecclesia Mater in pace ».
1- La mosaïque de la dédicace de la Cathédrale de Haïdra
La «dédicace» des églises peut se définir comme «une action sainte ou plutôt un ensemble d’actions saintes et solennelles, déterminées par l’Eglise et dont l’effet est de rendre un édifice, sacré de profane qu’il était, dédié pour toujours à Dieu et à son culte, par un ministre légitime, afin que dans cet édifice on puisse accomplir les fonctions divines et ecclésiastiques»[1].
Primitivement, dans l’antique liturgie romaine, il semble bien que toute la cérémonie consistait dans la consécration d’un autel dressé sur le tombeau d’un martyr et dans la célébration solennelle de la messe sur cet autel. Dédier un temple (dedicare en latin) était l’inaugurer en l’appliquant pour la première fois à l’usage auquel il était destiné. C’est ce que saint Augustin appelle l’«encœnia festivitas»[2], proprement, initier, placer un objet dans l’endroit qui lui est destiné. L’événement attirait souvent un concours considérable de fidèles, on faisait suivre la cérémonie d’un repas et sous prétexte d’honorer la mémoire des martyrs on tomba dans les excès et désordres des païens qui avaient leurs anniversaires «marqués» par des sacrifices: il fallut réprimer ces abus des dédicaces[3].
Saint Césaire d’Arles dans une homélie pour la dédicace d’une église nous transmet le sens spirituel de cette fête pour les chrétiens: «…Par conséquent, mes très chers, si nous voulons célébrer dans la joie l’anniversaire d’une église, nous ne devons pas détruire en nous, par de mauvaises actions, les temples vivants de Dieu. Et je dis cela pour que tous puissent comprendre: chaque fois que nous venons à l’église, nous devons préparer nos âmes pour qu’elles soient telles que nous voulons trouver cette église. Tu veux trouver une basilique brillante ? Ne souille pas ton âme par la saleté des péchés. Si tu veux que la basilique soit éclairée, et Dieu aussi le veut, que la lumière des bonnes œuvres brille en nous, et celui qui est aux cieux sera glorifié. De même que tu entres dans cette église, c’est ainsi que Dieu veut entrer dans ton âme, comme lui-même l’a dit: J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux».
2- Le sarcophage de la chrétienne “Tallia”
Dès la deuxième moitié du IIIème siècle, la production des sarcophages est surtout concentrée à Rome, où elle restera importante jusqu’au début du Vème siècle. Cependant il existe aussi des ateliers régionaux, comme ceux de Marseille et de Carthage. Ce sont souvent les mêmes ateliers qui produisent des œuvres chrétiennes et celles qu’on peut appeler «païennes». C’est pour cette raison que le décor des sarcophages chrétiens reste conforme aux pratiques de l’époque.
Ce beau sarcophage de «Tallia», est considéré du type à strigiles (ce dernier type, qui dérive de la cuve pour la fermentation du vin, à l’origine en forme de baignoire ornée de têtes de lion par lesquelles l’on faisait couler le vin, était décoré de scènes dionysiaques et de cannelures parallèles en forme de s). Et il porte au milieu le clipeus ou bouclier portant le nom du défunt[4]. Nous y trouverons plusieurs images bibliques en bas-relief dont la plus significative est celle de Jonas.
Jonas est un prophète, qui avant Jésus-Christ, reçoit l’ordre d’aller prêcher la conversion aux ninivites. Il refuse et s’embarque pour Tharsis. Bientôt survient la tempête; les marins l’en rendent responsable et le jettent à la mer. Englouti par un énorme poisson, Jonas prie le Seigneur. Au bout de 3 jours, il est rejeté sur une plage et gagne Ninive. Les habitants se convertissent et Dieu leur pardonne. Le prophète est mécontent, mais Dieu lui explique alors le motif de sa miséricorde.
Cette image deviendra importante pour les chrétiens, parce que «dans l’évangile, Jésus utilisera la leçon d’universalisme de Jonas, en donnant en exemple la conversion des Ninivites. En outre, il fera du prophète enfermé dans le ventre du poisson une figure du Christ au tombeau, attendant sa résurrection (Mt 12, 38-42). En effet l’iconographie de Jonas apparaît surtout aux premiers siècles du christianisme et disparaît définitivement à partir de la Renaissance. Le thème se rencontre principalement dans les peintures des catacombes à Rome et les bas-reliefs des sarcophages. Il est traité comme une préfigure de la mise au tombeau et de la résurrection du Christ »[5].
[1] Cf. BAUDOT, Jules, La dédicace des Eglises, Paris 1909, p. 3-4.
[2] Le passage de Saint Augustin est au tract. 48 in Jean. P. L., t. XXXV, col. 174
[3] Voir dans Saint Grégoire le Grand, Homilie. XIV in évangile. P. L., t. LXXVJ, col. 1130, une allusion à ces concours de peuples, et dans ses lettres Epist. 76 du livre XI, t. LXXVII, col. 1215, une plainte au sujet de ces abus.
[4] CUMONT, Franz & Académie des inscriptions & belles-lettres, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Paris, 1942, p.543.
[5] Cf. DHEILLY, J, Dictionnaire Biblique, en voix «Jonas», Belge 1964, p. 601-602.