Cette extraordinaire œuvre date du IVème siècle. Elle a été découverte en 1904 dans les ruines d’une chapelle dédiée à des martyrs, située à l’ouest de Tabarka. Le site a livré de nombreuses dalles funéraires du milieu du IVème siècle à la fin du VIème siècle, dont la mosaïque de l’Ecclesia Mater est la plus précieuse.
Description: Le bâtiment est présenté en petites dimensions, à la fois de face et en coupe, pour en montrer l’aménagement intérieur. Les éléments sont vus à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, afin de faire figurer le plus d’informations possible. L’édifice à trois nefs, comporte un grand arc triomphal supporté par des colonnes corinthiennes, qui donne accès par une volée de quatre marches à une abside voûtée, le «presbyterium»[1].
La nef centrale est figurée par une ligne de sept colonnes doriques. Sur l’autel brûlent trois cierges; au-dessous devait se situer, tel que la tradition le prévoyait, la tombe d’un martyr ou un dépôt de reliques marqué par une grille ouverte. Le presbyterium est en connexion avec la nef. Au sol, une succession de six colombes tournées vers l’autel et séparées par des roses; symbolisent les âmes des fidèles. Sur le mur figurent six fenêtres. Le toit en charpente à double pente est couvert de tuiles romaines. La façade, tout à fait à droite, est surmontée d’un fronton triangulaire percé de trois fenêtres. L’inscription tient sur deux lignes: ECCLESIA MATER, «Église mère», en tant que refuge des fidèles ou bien Église principale de la ville (cathédrale), et une épitaphe VALENTIA IN PACAE (pour Valentia in pace: «Valentia en paix»), nom de la défunte.
La mosaïque symbolise en effet l’Église mère qui accueille la défunte. La mosaïque de l’Ecclesia Mater constitue un témoignage du passage d’un christianisme souvent vécu dans des lieux privés dû aux persécutions, à l’architecture de la basilique chrétienne, habituelle après l’édit de Milan en 313. D’après les archéologues, «le mosaïste, suivant les conventions de l’antiquité tardive, offre un exemple parfait de la représentation synthétique d’un édifice, pour cela elle est d’une grande importance pour l’étude de l’architecture religieuse chrétienne primitive»[2].
Nous pouvons nous demander si les traits particuliers de la basilique africaine qui ont ainsi été définis par cette mosaïque de «Ecclesia Mater» s’expliquent par des traditions locales.
Noël Duval, membre de l’école archéologique de Rome, nous dit: «Non pas, si l’on parle d’une tradition architecturale venue de l’époque punique, numide ou romaine. Les structures du bâtiment sont classiques dans le contexte de l’architecture chrétienne. Elles sont naturellement apparentées à celles de la basilique civile, même pour le type à deux absides opposées, et il est arrivé à plusieurs reprises (notamment à Tipasa et Lepcis Magna) que des églises aient été installées dans des «basiliques» antérieures qui, d’ailleurs, n’avaient rien de spécifiquement africain. Il existait par contre un type de temple «africain», généralement à cella de petites dimensions (carrée ou rectangulaire), au fond d’une cour, mais le sanctuaire était le plus souvent trop petit pour les nécessités du culte chrétien et, quand celui-ci s’y est installé, on a aménagé à plusieurs reprises le baptistère dans la cella en construisant l’église dans la cour ou au voisinage.
Vue cavalière du chœur et de l’abside d’une basilique africaine (d’après van der Meer): remarquez l’autel dans la nef et l’abside surélevée avec le synthronos et la cathèdre épiscopale.
Mais l’Église d’Afrique, d’origine très ancienne et marquée au IIIème siècle par sa volonté de préserver ses traditions en face du Siège Apostolique, possède indiscutablement un rituel et une liturgie qui lui sont propres et qui ont gardé leur spécificité pendant plusieurs siècles. Bien que nous les connaissions mal puisqu’il nous manque les textes techniques qui existent par exemple pour l’Italie, la Gaule, l’Espagne, ces rites peuvent se reconnaître au moins dans leurs conséquences matérielles qui ont influencé l’emplacement de l’autel, l’aménagement de l’abside, l’adjonction éventuelle d’une contre-abside, sans doute l’organisation du chevet de l’église, peut-être la forme de la vasque baptismale.
L’importance en Afrique du culte des martyrs, bien connue par les textes des Pères, explique la présence régulière de reliques sous l’autel et sans doute certains aménagements comme des monuments commémoratifs, memoriae, ou les « contre-absides », particulièrement fréquentes en Afrique.
Elle peut rendre compte aussi d’une autre spécificité des églises africaines qui accueillent régulièrement, même en ville, dans leur sol des sépultures que la loi romaine proscrivait autrefois dans l’enceinte des cités et que d’autres régions ont toujours répugné à accepter dans l’édifice cultuel (même en dehors de la ville). Ces inhumations qui se pressent surtout ad sanctos, à proximité des reliques, ont fait naître une mode, qui n’est pas uniquement mais plus spécialement africaine, de «mosaïques funéraires» pour concilier la nécessité de signaler la sépulture et celle de conserver un pavement adapté aux préférences locales.
La forte originalité de l’Afrique chrétienne, à travers la discipline ecclésiastique, la place faite aux martyrs et aux défunts, les rites et la liturgie, a donc fait naître une typologie particulière, plus dans les aménagements que dans l’architecture proprement dite. Malgré une grande diversité locale, surtout dans les techniques de construction et les décors influencés souvent par des ateliers régionaux, il ne semble pas qu’on puisse affirmer, comme certains l’ont fait (W.H.C. Frend) que cette typologie est mieux représentée dans les zones «de tradition berbère», dans les campagnes de l’Afrique profonde (par exemple en Numidie centrale et méridionale) que dans les villes les plus romanisées. Le schisme, africain par excellence, du Donatisme n’a pas fait naître une architecture religieuse qui lui soit propre, ou du moins n’est-on pas capable de la reconnaître dans l’état actuel des recherches.
A priori, par conséquent, la «basilique africaine» doit plus à une tradition liturgique dont il faut faire remonter la naissance à la christianisation des IIème et IIIème siècles, qu’à des influences ethniques ou à un héritage architectural des civilisations du Maghreb »[3].
[1] Le presbyterium est un élément d’architecture des églises chrétiennes, surtout catholiques occidentales. Il s’agit de l’espace réservé au clergé. Dans les premières communautés chrétiennes, l’évêque s’entoure de presbytres qui l’entourent lors du culte et occupent des gradins semi-circulaires dans l’abside qui délimite le sanctuaire (symbolisant la « tête » de l’Église).
[2] YACOUB, Mohamed, Splendeurs des mosaïques de Tunisie, pp. 374-375.
[3] Cf. DUVAL, N, « Basilique chrétienne africaine », en encyclopédie berbère, p. 1371-1377.