-La mosaïque eucharistique du «Golgotha» au Musée du Bardo
Cette extraordinaire mosaïque nous permettra de parler d’un autre édifice liturgique typiquement africain: «les installations martyrologiques». On voit donc s’ajouter à l’autel principal, destiné à la célébration eucharistique, et au contre-autel servant principalement au culte martyrologique, une troisième catégorie d’aménagements liés également à la vénération des martyrs: des monuments commémoratifs pouvant comporter un dépôt de reliques mais dont l’essentiel est constitué par une inscription rappelant aux fidèles le nom et éventuellement l’anniversaire des saints. Un peu différente, parce que formant un martyrium autonome, la chapelle opposée à la façade de l’église de Iunca offre un exemple très complet d’installation destinée à la fois au culte commémoratif (estrade d’autel au-dessus d’une crypte accessible, abside avec banc presbytéral) et à la visite des pèlerins.
Voyons cet exemplaire : «Sur le site de Iunca situé près de Maharès, à 45 km au sud de Sfax sur la côte, deux grandes églises ont été découvertes et fouillées de 1935 à 1952. La première est une basilique à cinq nefs, caractérisée par la présence d’un martyrium à crypte et abside, opposé symétriquement à l’abside principale et séparé de la basilique par deux couloirs»[1]. Le sol du couloir donnant accès au martyrium était pavé d’une mosaïque représentant cette belle image que nous appelons «Golgotha». Cette mosaïque en marbre et en pâte de verre représente une vision symbolique du Golgotha à Jérusalem, lieu de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Description: Une colline, lieu de sacrifice de la Croix en relation au sacrifice actuel de la messe représenté par le ciborium (coupole au-dessus de l’autel); les fleuves de l’ancien paradis dont le Tigre et l’Euphrate et le nouveau paradis qui jaillit du sacrifice du Christ actualisé dans la messe; l’agneau et la biche représentent les fidèles qui boivent aux eaux du nouveau paradis ouvert par le sacrifice du Christ sur la croix; trois maisons: Jérusalem, Nazareth, Bethléem: la vie du Christ et donc l’eucharistie, sacrifice du Christ, source de Vie éternelle pour les chrétiens.
-La mosaïque eucharistique «Le cerf et le calice» au Bardo [2]
Cette mosaïque provient d’une partie du pavement de la nef centrale de la basilique du martyre de Saint Cyprien retrouvée par le P. Delattre et datant du IVème siècle. Voici en quels termes M. Gauckler l’a décrite: «Calice sans anses, remplis de sang, couronnant le sommet d’un monticule d’où jaillissent les quatre fleuves du Paradis, et où viennent boire le cerf et la biche (agenouillés) qui symbolisent les fidèles, affrontés de part et d’autre du calice central, à l’ombre de palmiers». Le calice, la biche et le cerf, les fleuves, les couleurs vives répétées 8 fois dans la même mosaïque donnent à cette basilique le titre de «Basilique eucharistique». Ecoutons les paroles du P. Delattre: «Si Mgr l’Archevêque, en annonçant le Congrès Eucharistique international de 1930, a pu dire que Carthage mérite d’être appelée, entre toutes, une cité eucharistique, nous pouvons ajouter que la basilique de Bir-Ftouha mérite d’être appelée la Basilique eucharistique».
Saint Augustin, dans un de ses sermons prêché aux fidèles de Carthage dans cette même église, le jour anniversaire du martyre de Saint Cyprien, leur disait: «Dans ce même lieu où S. Cyprien a laissé la dépouille de son corps, une multitude furieuse était accourue pour répandre le sang de Cyprien en haine de Jésus-Christ ; aujourd’hui, une foule pieuse accourt pour honorer la naissance de Cyprien, en buvant le sang de Jésus-Christ. Et elle boit en ce lieu le sang du Christ en l’honneur de Cyprien, avec une douceur d’autant plus grande, que Cyprien y a répandu son propre sang avec plus de dévouement pour le nom de Jésus-Christ»[3].
«N’est-il pas émotionnant, disait le P. Delattre, de constater que sur le lieu où le grand évêque versa si généreusement son sang, s’éleva une vaste basilique enrichie de mosaïques montrant, plusieurs fois répété, un calice rempli du sang vermeil du divin Agneau immolé par amour pour nous, calice d’où sortent les quatre fleuves symboliques où viennent s’abreuver cerf et biche agenouillés. Ici, l’emblème eucharistique ne laisse lieu à aucun doute. Nulle part peut-être, en dehors des catacombes de Rome, on ne l’a rencontré aussi clair pour figurer l’Eucharistie sous l’espèce du vin»[4].
Le P. Delattre explique l’importance et la valeur de cette mosaïque par le fait que les fidèles ont reproduit jusqu’à huit fois un symbole si expressif du Précieux Sang pour rappeler le sang versé par Saint Cyprien sur l’emplacement de la basilique. Au même temps elle était un commentaire sur place interprétant un texte du glorieux évêque de Carthage : «Le sang du Christ dans la communion est aussi objectif que le sang du Martyr»[5].
La valeur de l’eucharistie (la messe) pour les chrétiens
Puisque dans ces deux dernières mosaïques nous avons parlé de l’eucharistie, permettez-moi de vous rappeler la valeur de l’eucharistie pour les chrétiens des premiers siècles et de tous les siècles. Il faut toujours savoir que sans l’eucharistie, il n’y a pas de sacerdoce (prêtre) et il n’y a pas d’Église. Mais que est-ce que l’eucharistie ? Que est-ce que la messe ?
La messe telle que nous la connaissons aujourd’hui, est essentiellement le mémorial d’un drame, un drame sans cesse repris, sans cesse présent à nous, une tragédie éternellement prolongée: la mort d’un innocent; un Dieu fait homme pour nous sauver, pour nous ouvrir les portes du ciel, pour nous racheter et pour nous donner la Vie éternelle. En somme un drame d’amour. C’est un mystère et il nous faut la foi pour le comprendre.
Les chrétiens des premiers siècles appelaient cet acte d’amour action de grâce, liturgie, fraction du pain, assemblée, ou encore comme écrivirent Tertullien et Saint Cyprien, «Passio Domini», la passion du Seigneur. Car là est la vérité: c’est la Passion du Christ qui est au centre de la messe, appelée, annoncée, célébrée, consommée. C’est autour de cette donnée fondamentale de la foi chrétienne, la Rédemption par le sacrifice de la Croix, qu’elle s’est ordonnée. C’est par rapport à elle qu’il faut la comprendre.
Daniel Rops écrit: «Originellement, la Messe garde le souvenir exact de cette dernière Cène où, bien peu d’heures avant de souffrir et de mourir, Jésus consacra le pain et le vin afin qu’ils fussent Sa chair et Son sang, et ajouta: «Faites ceci en mémoire de moi.» Ces mystérieuses paroles, ce changement de deux humbles espèces issues des fruits de la terre en réalités surnaturelles, étaient chargées d’une double signification. La mort du Christ, son oblation volontaire, étaient annoncées par là, bien avant que les ennemis de Jésus fussent les agents de son sacrifice: «Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez à ce calice, dit Saint Paul, vous proclamez la mort du Christ, jusqu’à ce qu’il vienne.» (I Cor, 11, 26) Et, en même temps, parce qu’il offrait aux siens le pain et le vin ineffablement changés, il les faisait participer à un bien autre banquet que celui de la Cène, au banquet de la Vie qui ne passe pas. Ainsi, la Messe est de trois façons un mémorial: elle reproduit les gestes et les mots consécratoires de la Céne; elle est le souvenir vivant, tout chargé de tragique, du sacrifice du Calvaire (Golgotha); elle est le banquet où chacun des baptisés est convié[6].
[1] Cf. FEUILLE, G, Rev. Tun. 1949, p. 21 sqq.; Cahiers arch. III, 1948, p. 75 sqq.; IV, 1949, p. 131, sqq.
[2] Cf. DELATTRE, L, Symboles eucharistiques, Tunis 1930, pp.18-20.
[3] S. Augustin, Serm. CCCX, 2.
[4] Cf. DELATTRE, L, op. cit., pp.18-20.
[5] S. Cyprien, Epist. LVII, 2.
[6] Cf. ROPS, Daniel, Missa est, Paris 1951, p. 2.