Dom G. Dolan, dans sa préface de Sainte Gertrude, a exposé l’histoire du culte du Sacré-Cœur. Il y entreprend aussi celle de ses représentations dans l’art chrétien. Il cite dans un monastère de Chartreux, une clef de voute sur la quelle fut sculptée, vers 1474, un cœur symbole de l’Amour infini de Jésus-Christ[1]. Il dit aussi que Lansperge (1539) peut se faire gloire d’avoir beaucoup défendu la coutume, naissante alors dans l’art chrétien, de représenter le cœur de Jésus, signe sa divine Charité.
Mais, historiquement dit encore Dolan, on peut remonter plus haut et même de plus d’un siècle, car en 1367, un roi de Portugal, Ferdinand, plaçait dans ses armoiries personnelles deux cœurs dont l’un figurait le Cœur de Jésus blessé et l’autre figurait son propre cœur. Les deux cœurs étaient accompagnés de la devise : Cur non utrumque. Cette représentation du Cœur de Jésus au XIV siècle n’était pas une invention du roi Ferdinand.
En effet, dans la riche collection de lampes chrétiennes recueillies par le P. L. Delattre, père Blanc, au 19ème siècle, on peut voir des cœurs souvent accompagnant ou entourant le motif central de la lampe, en général figurant Jésus-Christ sous l’emblème du Poisson, de l’Agneau, du Calice, du Lion, de la Croix, etc.
La place occupée par ces cœurs qui accompagnent le sujet principal se rapportant à Jésus-Christ, semble bien révéler qu’ils avaient un sens particulier bien compris des fabricants et des fidèles auxquels les lampes étaient destinées.
Les artistes chrétiens de cette époque, confirme le P. Delattre en citant Emile Male, s’inspiraient le plus souvent d’une pensée religieuse, dans les motifs dont ils décoraient même les ustensiles domestiques. En plus, affirme encore le P. Delattre, ce genre de documents archéologiques est fort peu connu et il n’a pas été signalé ailleurs. Il parait, au mois, au début du 19ème siècle, particulier à Carthage et à la Tunisie[2].
Dans le principe d’interprétation du symbole d’une lampe, il faut savoir que le sujet principal ou motif central se rapporte le plus souvent à Jésus-Christ et lorsque le même sujet ou motif se dédouble ou se multiplie, il représente les fidèles qui doivent se montrer d’autres Christ.
Or, le P. Delattre a eu la chance de recueillir un fragment de lampe, la partie supérieure centrale, portant un grand cœur qui renferme la croix. Devant cet exemplaire, serait-ce téméraire de se demander si l’auteur, le fabricant de la lampe, n’a pas eu l’intention de donner une importance particulière au Cœur complétant le symbole de la croix qu’il renferme ?
Nous avons vu que les plus anciennes représentations du Cœur remontent au moyen âge. Mais si les cœurs qui apparaissent si fréquemment dans la céramique chrétienne de Carthage représentent les fidèles dans leur rapport avec le Divin Rédempteur, qui empêcherait d’admettre que la pensée de figurer le Cœur de Jésus-Christ se soit manifestée antérieurement au moyen âge ? Nous ne voulons pas en tirer une conclusion, mais les faits sont là.
Dans l’ouvrage Le Règne du Cœur de Jésus on peut lire que l’une des manières les plus anciennes de présenter le Divin Cœur était un cœur renferment une croix. Or c’est ce que le P. Delattre avait trouvé à Carthage sur des poteries datant du Vème siècle environ. Non seulement le cœur y renferme la croix, mais aussi le monogramme du Christ sous différentes formes. Dans un des cœurs de la collection des poteries chrétiennes, le monogramme du Christ, sous sa forme constantinienne X et P, est accosté de motifs qu’on pourrait prendre pour des grappes de raisin, ce qui donnerait à l’emblème un sens eucharistique.
A Carthage, dans la Basilique primatiale, l’autel de Saint Louis et du Saint-Sacrement était également orné, dans ses sculptures de ces cœurs renfermant la croix et le monogramme du Christ.
Je ne voudrais pas finir cette brève présentation sans vous rappeler ce que le Directoire sur la piété populaire et la Liturgie, publié le 9 avril 2002, nous dit par rapport au sens du culte rendu au Cœur de Jésus : « L’expression « Cœur de Jésus », entendue dans le sens contenu dans la divine Écriture, désigne le mystère même du Christ, c’est-à-dire la totalité de son être, ou le centre intime et essentiel de sa personne: Fils de Dieu, sagesse incréée; Amour infini, principe du salut et de sanctification pour toute l’humanité. Le « Cœur du Christ » s’identifie au Christ lui-même, Verbe incarné et rédempteur (…)» (n. 166).
Pie XII disait : « Devant le spectacle de tant de maux qui, aujourd’hui plus que jamais, atteignent si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-nous, Vénérables Frères, chercher le remède ? Peut-on trouver une forme de piété supérieure au culte du Cœur de Jésus, qui réponde mieux au caractère propre de la foi catholique, qui subvienne mieux aux besoins actuels de l’Église et du genre humain ? Quel culte est plus noble, plus doux, plus salutaire que celui-là, tout entier dirigé vers l’amour même de Dieu ? Enfin, quel stimulant plus efficace que l’amour du Christ – avivé et augmenté sans cesse par la dévotion au Cœur très sacré de Jésus – pour amener les fidèles à mettre en pratique, dans leur vie, la loi évangélique, sans laquelle – comme nous en avertissent les paroles du Saint-Esprit : » l’œuvre de la justice sera la paix » – il ne peut pas y avoir entre les hommes de paix digne de ce nom ? (Haurietis aquas in gaudio n. 69)
Et Léon XIII : « Aujourd’hui, un autre symbole divin, présage très heureux, apparaît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus… resplendissant d’un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous devons placer en lui toutes nos espérances ; c’est à lui que nous devons demander le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’espérer» (Haurietis aquas in gaudio n.70).
[1] G. Dolan, Le Règne du Cœur de Jésus, 2e ed., II, p. 369.
[2] L. Delattre, Le Cœur de Jésus dans l’art chrétien, Tunis 1927, p. 13.