LA PREDICATION DE SAINT AUGUSTIN SUR SAINTES PERPETUE ET FELICITE

Nous commençons par quelques considérations générales :

1. Nous avons la certitude que l’occasion des sermons de saint Augustin sur saintes Perpétue et Félicité et compagnons martyrs, fut, selon la coutume de l’époque, leur « dies natalis ». Il est invité à trois reprises par l’évêque de Carthage à prêcher l’anniversaire du « jour » de leur mort. C’était le 7 mars. Par contre, nous ne savons pas l’année de prédication et, en rigueur de vérité, nous ne pouvons pas non plus affirmer qu’il a prêché ces sermons dans la basilique Maiorum, tombeaux de saintes Perpétue et Félicité. En effet, il affirme explicitement d’avoir prêché dans cette basilique « habitus in basilica Maiorum » quatre sermons dont aucun sur ces saintes. Cependant, il se peut aussi qu’il n’avait pas besoin d’spécifier en tête à ses sermons quelque chose d’évidente : prêcher le die natalis de Perpétue et Félicité dans leur basilique.        

Qu’est-ce que le die natalis ? C’était le jour de la mort / naissance à la vie éternelle des chrétiens martyrisés. Les premiers chrétiens célébraient donc la gloire des martyrs le jour anniversaire de leur martyr et dans le lieu du martyr. Saint Augustin explique : « Les martyrs sont venus par leur naissance à des combats mauvais, parce qu’ils avaient contracté le péché originel ; leur mort les fit passer à des bien assurés, parce qu’ils avaient mis fin à tout péché » (Serm. 314, 1). Le titre du calendrier de Carthage de l’époque de Saint Augustin récite : « Hic continentur dies nataliciorum martyrum et depositiones episcoporum, quos ecclesia Carthagenis anniversaria celebrant ».

2. Les trois sermons de saint Augustin qui nous sont parvenus numérotés 280, 281 et 282 sont authentiques et datent de la deuxième moitié du IVème siècle ou début du Vème siècle. Or, ce corpus des textes consacrés à Perpétue et Félicité s’est enrichit, avec la publication d’un inédit[1]. Il s’agit d’un sermon d’origine africaine pour la fête des saintes Perpétue et Félicité. C’est une pièce qui avait été utilisée par saint Bède dans son martyrologe. Ce sermon a été prêché, très vraisemblablement à Carthage, lors du dies natalis des deux saintes. Les trois manuscrits qui nous l’ont conservé l’attribuent à Augustin, et de fait certains thèmes, comme celui de la perpetua felicitas des martyres, se retrouvent dans les sermons authentiques. Toutefois un assez grand nombre de maladresses, qu’on ne saurait expliquer par des fautes de transmission, rendent peu probable une attribution « directe » à l’évêque d’Hippone. Certains auteurs notent alors une parenté certaine avec un traité attribué à l’évêque de Carthage Quodvultdeus (CPL 415). La datation des deux pièces doit être Carthage, première moitié du Vème siècle.

3. Nous apprenons par saint Augustin que la Passio latine et les Actes abrégés des martyrs faisaient l’objet d’une lecture publique dans le cadre de la cérémonie liturgique. En effet, il dit dans le sermon 280 : « Le lecteur vient de nous redire les encouragements qui leur furent adressés dans leurs visions divines et les triomphes remportés par elles sur les souffrances. Tout cela, exprimé et éclairé par la lumière de la parole, a été écouté attentivement, regardé avec intérêt, religieusement honoré et loué par nous avec amour. Cependant une solennité si pieuse réclame encore de nous le discours de chaque année. Si ce discours, fait par moi, se trouve bien au-dessous des mérites de ces saintes martyres, il n’en sera pas moins un témoignage de l’ardeur de mon zèle à me mêler aux joies d’une fête si solennelle ». Et encore dans le sermon 282 il dit : « Quant aux personnes mêmes qui portaient ces noms, on nous l’a dit en lisant leurs Actes et la tradition nous l’a appris : ces personnes de tant de mérite et de si hautes vertus n’étaient pas seulement des personnes du sexe, c’étaient des femmes. Toutes deux mêmes étaient mères… ».

Nous remarquons maintenant quelques paragraphes des sermons de Saint Augustin

Sermon 280 in Natali martyrum Perpetuae et Felicitatis. Il est le sermon le plus long et le plus complet. Le fil rouge de ce sermon ce sont 4 idées autour du récit de la passion :  

  1. Ils doivent la gloire éternelle à Jésus-Christ ;
  2. Ils ont effectivement triomphé de ce à quoi l’homme est le plus attaché, de l’amour de la vie et de la crainte des douleurs ;
  3. S’il leur arrivait, au moment même de leur martyre, de n’en point ressentir les souffrances à cause des consolations divines dont ils étaient remplis, quelle idée ne doit-on pas se faire des délices dont ils sont enivrés dans leur état glorieux !
  4. Quels que soient cependant leur bonheur et leur gloire d’aujourd’hui, ce n’est que comme un songe, en présence de ce qui les attend après la résurrection.

Quelques textes :

Saint Augustin, l’homme de la rhétorique : « Le retour anniversaire de ce jour nous rappelle à la mémoire et nous représente en quelque sorte le jour solennel où, ornées de la couronne du martyre, les saintes servantes de Dieu Perpétue et Félicité commencèrent à jouir de la félicité perpétuelle… »

« …Quand alors ces corps sacrés étaient exposés aux bêtes, les païens frémissaient dans tout l’amphithéâtre… ; mais Celui qui habite au ciel se riait d’eux… Aujourd’hui les enfants de ces aveugles, dont les cris impies appelaient les tourments sur les corps des martyrs, exaltent par des chants pieux les mérites de ces héros de la foi…. ».

« …Où était effectivement cette jeune femme, quand elle ne s’apercevait point qu’elle luttait contre une vache indomptée et quand elle demanda à quel moment aurait lieu cette lutte déjà accomplie ? Où était-elle ? Que voyait-elle quand elle ne remarquait pas ce combat ? De quoi jouissait-elle quand elle n’était pas sensible à ses blessures ? Quel amour l’emportait ? Quel spectacle la ravissait ? Et pourtant elle était prise encore dans les nœuds de la chair, elle portait encore des membres mourants, elle était toujours appesantie par un corps corruptible ».       

Saint Augustin évoque la phrase de Tertullien : « le sang des martyres semence des chrétiens » : « [Le Christ] Seul il a donné sa vie pour tous ; à son exemple, les martyrs ont donné la leur pour leurs frères ; ils ont pour produire cette immense et fertile moisson des peuples chrétiens, arrosé la terre de leur sang. C’est ainsi que nous sommes aussi le fruit de leurs sueurs. Nous élevons vers eux notre admiration, ils ont pour nous de la pitié. Nous leur applaudissons, ils prient pour nous ».

La conclusion de saint Augustin est aussi importante. Les actes de Perpétue et Félicité étaient aussi utilisées par la secte montaniste et ses adeptes (elles ont été achevées par un disciple de Tertullien), donc saint Augustin s’empresse d’affirmer la catholicité qui unis les martyrs et les fidèles. « N’oublions pas toutefois, dit-il, que nous obéissons au même Seigneur, que nous suivons-le même Maître, que nous escortons le même Prince, que nous sommes unis au même Chef, que nous marchons vers la même Jérusalem, que nous pratiquons la même charité et que nous gardons la même unité ».

Sermon 281 : Saint Augustin évoque dans ce deuxième sermon l’idée que le courage viril qu’elles déploient dans leurs combats, malgré la faiblesse de leur sexe, ne peut être attribué qu’à Jésus-Christ, à qui elles étaient intimement unies. Ce qui rend ce courage plus digne encore d’admiration, c’est qu’en triomphant de tout, l’une Perpétue triomphe de son vieux père en lui témoignant la plus filiale tendresse, et que l’autre Félicité triomphe miraculeusement d’un enfant nouveau-né. Ceci explique pourquoi l’Eglise a insérée dans le canon romain les noms de Perpétue et Félicité.

Quelques textes :

« …la couronne est plus glorieuse, quand le sexe est plus faible, et l’âme se montre assurément plus virile dans le corps d’une femme, lorsque celle-ci ne succombe pas sous le poids de sa fragilité. Combien elles avaient raison de se tenir intimement unies à l’Epoux unique à qui l’unique Eglise se présente comme une vierge chaste !»

« …dès que …ennemi qui avait trompé l’homme par la femme, se sentit aux prises avec cette femme d’un mâle courage, il essaya de la vaincre en recourant à un homme. Il ne s’adressa point à son mari, dans la crainte que déjà citoyenne des cieux par l’élévation de ses pensées, elle ne soupçonnât en lui des désirs charnels qui la feraient rougir et dont elle triompherait aisément ; c’est sur les lèvres de son père qu’il mit des paroles de séduction… Mais la sainte répondit à son père avec une telle sagesse que, sans violer le précepte qui commande d’honorer les parents, elle ne se laissa point prendre aux ruses profondes où se cachait l’ennemi ».

« Pour Félicité, elle était enceinte dans sa prison… Un mois avant d’être à terme, elle donna donc le jour à un enfant. …Oui, la Providence voulut que son enfant vînt au monde avant l’époque ordinaire, afin que Félicité fût rendue, comme il était juste, à ses illustres compagnons ; sans elle, effectivement, ne semble-t-il pas que ces martyrs auraient manqué, non-seulement d’une compagne de plus, mais encore de la récompense qui leur était due ? …Pourquoi ont-ils tout bravé, sinon pour jouir d’une Félicité Perpétuelle ? ».

Sermon 282. Ce sermon est le plus bref, cependant il faut lire la version augmentée que des chercheurs autrichiens ont découvert dans l’ex-Allemagne de l’Est en 2006. Ici saint Augustin revient sur les idées précédentes en expliquant pourquoi la fête est célébrée sous le nom de Perpétue et Félicité.   

Quelques textes :

« En effet Perpétue ou Perpétuelle et Félicité sont à la fois les noms de ces deux femmes et la récompense de tous les martyrs ». « …Que servirait la Perpétuité sans la Félicité ? et sans la Perpétuité la Félicité ne serait que passagère ».

« Au nombre de ces glorieux martyrs se trouvèrent aussi des hommes qui le même jour triomphèrent également des tourments avec un indomptable courage. Ce ne sont pas eux toutefois qui ont donné leurs noms à cette fête. Serait-ce que les deux saintes l’emportaient sur eux par la dignité de leurs mœurs ? Non, c’est que ce fut pour le sexe faible un plus grand miracle de vaincre l’antique ennemi ; c’est encore parce qu’en combattant, la mâle vertu avait les yeux ouverts sur la Perpétuelle Félicité ».

P. Silvio Moreno, IVE


[1] Cf. Analecta Bollandiana, 113,1995, p. 89-106 ; Dolbeau, F., Revue des Études Augustiniennes, 42 (1996), 295-320 ; Dolbeau, F., Augustin et la prédication en Afrique, Paris, 2005, p. 337-354.  

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