ARCHÉOLOGIE MARIALE AFRIQUE DU NORD

Un précieux fragment en 1909 de Notre Dame de Carthage          

N.D. de Carthage TunisDeux ans après avoir écrit sa mémoire sur le culte à la Vierge Marie, la Providence divine réservait au P. Delattre une agréable surprise. Dans la journée du 7 octobre 1909, un arabe de Carthage apporta au P. Delattre quelques débris, tessons et morceaux de marbre ramassés sur le sol. Parmi ces différentes pièces, l’attention du père fut toute de suite attirée par un minuscule morceau de marbre très blanc. Il pèse 110 grammes. Les traces de sculpture qu’il porte lui font soupçonner qu’il pourrait bien appartenir au magnifique bas-relief de la Vierge et l’enfant. Voici les paroles du P. Delattre : « Non seulement je soupçonnais que le fragment appartenait à ce bas-relief, mais j’étais persuadé au point qu’à l’instant même où je l’eus en mains, le montrant à mon confrère, le P. Vincent, qui se trouvait là avec une personne en visite, je leur dis : ‘Voilà un morceau de notre bas-relief de la sainte Vierge’. En l’examinant, il semblait offrir la partie chevelue d’une tête avec l’amorce du cou (voir le détaille de la photo). Je m’empressai d’aller voir s’il pourrait retrouver la place qu’il occupait. Le premier endroit où j’essayai de l’appliquer était le bon, la cassure inferieure s’y adaptait exactement, s’emboitant à merveille. Le fragment n’avait pas même besoin d’être maintenu, il tenait tout seul en place et il nous donnait la moitié postérieure de la tête d’un des deux prophètes, de celui qui est contigu à la jolie bordure ajourée encadrant le sujet. Malgré l’absence du visage, ce fragment minuscule donne au personnage sa véritable attitude et complète sa taille. L’ensemble du groupe si lamentablement mutilé y gagne quelque chose de plus vivant qui anime la scène »[1].   

Statuettes de terre cuite

On voyait autrefois dans les vitrines du Musée Lavigerie, sur la colline de Byrsa, une série de statuettes, toutes de même argile grise, représentant une femme soit debout, soit assise et, dans ce cas, portant souvent un enfant sur ses genoux. Représentent-elles vraiment la Sainte Vierge ? En 1894, les quelques hésitations qui retenaient encore le P. Delattre tombèrent complètement devant l’autorité de ceux qui affirmaient que ces statues étaient des représentations de la Mère de Dieu.

D’ailleurs le caractère chrétien est souvent attesté dune manière indéniable sur la statuette même : dans un compte-rendu officiel des fouilles exécutées à Carthage par le service des Antiquités, on signalait « une curieuse série de ces statuettes de femme assise, seule ou tenant un enfant sur ses genoux, déjà signalées ailleurs et où l’on avait proposé de voir Isis et Horus, mais dont le caractère chrétien est ici attesté d’une manière indéniable par le chrisme qui apparait au revers de l’une de ces figurines. Elles représentent la Vierge et l’Enfant Jésus »[2].

Si on cherche l’explication à ces groupes de statuettes on peut la trouver peut être grâce à la diffusion des images de la Mère de Dieu qui dut se produire à la suite du Concile d’Ephèse en 431. Il ne faut pas oublier que l’Eglise de Carthage était représentée à ce Concile par le diacre Besula, délégué de l’Eglise d’Afrique, au nom de l’évêque de Carthage Capreolus et de ses collègues d’Afrique.

Carreaux de Terre cuite

Portant l’effigie de Marie: Le P. Delattre et les premiers archéologues chrétiens ont trouvé sur plusieurs points de la Tunisie, dans les ruines des édifices chrétiens[3], des carreaux d’argile rouge de forme carrée, qui portent une image de la Sainte Vierge, assise de face sur un siège d’honneur avec l’enfant Jésus sur ses genoux. Ces moulages simples donnent à Marie une attitude de grande dignité. Le P. Chales, suivant l’avis du P. Delattre, soutient qu’avant que la Tunisie ne révélât l’existence de ces carreaux d’origine chrétienne, ce genre d’iconographie mariale était inconnu des archéologues.

Exemple: Vierge Nikopedia. Il y existe un exemplaire de terre cuite toute particulière et très intéressant qui mérite d’être décrit: il s’agit d’une terre cuite offrant un visage de femme ornée du nimbe (auréole). C’est un appendice de lampe chrétienne. En forme de disque, il était soudé verticalement sur la lampe à la partie opposée au bec comme serait un réflecteur. Le disque était donc mis en pleine lumière et la recevait comme sur un écran.

Nikopedia Cathedrale TunisAu moment de la découverte le P. Delattre ne savait pas s’il s’agissait de la Vierge ou bien d’une sainte de Carthage. Mais en parcourant l’ouvrage marial de Rohault de Fleury[4], il fut frappé de la ressemblance de cette terre cuite avec une icône représentant la « Nikopeia » ou la Vierge de la Victoire, vénérée à Saint Marc de Venise et une des Madones les plus célèbres de l’Europe. La description que Fleury fait de cet icone est très intéressante et les traits principaux peuvent s’appliquer au visage nimbé de Carthage : « L’ovale de son visage fort large aux tempes, se rétrécit rapidement vers le bas… Un voile cache entièrement le front et suit la ligne des sourcils. Ceux-ci sont très accentués, les yeux largement ouverts, entourés à la manière byzantine, de paupières sombres ; le nez effilé se termine par une narine étroite, renflé et trop sèchement accusée. La bouche participe à cette rudesse qui rend les lèvres heurtées et dessinées par des ombres trop fortes. La physionomie générale manque charme et de douceur… ».

Nikopeia CarthageNote : Les bijoux précieux qui ornaient l’icône ont été volés il y a une centaine d’années et n’ont pas été remplacés. Ci-dessus à gauche, l’image d’avant le vol, à droite, celle d’aujourd’hui.

Le détail du nimbe est aussi important : « Dans l’une et l’autre, la tête, écrit le P. Delattre, est ornée d’un décor à compartiments. Dans le nimbe de la Nikopeia de Venise, on voit cinq compartiments ornés chacun de cinq cabochons et ces cinq compartiments se retrouvent dans le nimbe de la tête d’argile, découverte à Carthage. Les cabochons également au nombre de cinq dans chaque compartiment sont figurés par des petits disques composés de cercles concentriques »[5].

On peut dire alors avec une forte probabilité que la terre cuite de Carthage a été façonnée d’après la Nikopeia aujourd’hui vénérée à Venise. La conviction devient encore plus grande lorsque nous lisons l’histoire de cet icone : « Un savant illustre, M. Molin, théologien du patriarcat de Venise, établit comme un fait très probable, s’il n’est même tout à fait certain, qu’Héraclius portait avec lui la Nikopeia lorsqu’il vint de son gouvernement d’Afrique (Carthage) renverser le tyran Phocas et qu’il fit avec elle son entrée triomphale dans la cité[6]. Ce serait cette image, laissée par Heraclius comme gardienne de la ville, que le patriarche Sergius aurait opposée à la fureur des Avars et Slaves qui, en absence de l’empereur, étaient venus inopinément assiéger Constantinople[7]. En 718, les Sarrasins s’étant présentés sous ses murs, les habitants effrayés portèrent la Nikopedia dans une procession solennelle et sauvèrent la ville… Au XIIème siècle, ajoute de Fleury, pendant que Baudouin assiégeait Constantinople, Pierre de Bracheux, gentilhomme de Beauvais, sous les ordres d’Henri, frère de Baudouin, enleva la Nikopeia aux Sarrassins dans un glorieux fait d’armes. Baudouin songeait à faire présent de l’illustre image au monastère de Cîteaux, mais Enrico Dandolo, capitaine de la flotte vénitienne, la réclama instamment et s’empressa de l’envoyer à Venise. Elle fut déposée à Saint-Marc où le doge Jean Bembo fit élever en son honneur un autel resplendissant de marbre et d’argent »[8].

Le P. Delattre conclut alors en disant que si la Nikopeia est véritablement originaire de Carthage, il n’y a pas lieu de s’étonner que les fidèles en aient fait des reproductions et que cette terre cuite nous en ait conservé le souvenir et les principaux traits.

Portant une prière : L’Abbé Delapart, curé de Tébessa vers 1885, dans l’église en ruines d’une ancienne ville épiscopale (Colonia Cillium), aujourd’hui peut-être Kasserine, découvrit une plaque de terre cuite sur laquelle était imprimée en creux (moitié en-dessus, moitié en-dessous d’une grande rose) l’invocation: SCT MARIA: Sainte Marie / AIUBA NOS : Secourez-nous. L’invocation Sancta Maria adiuva nos résume pour ainsi dire, dit le P. Delattre, par un seul cri de confiance la belle prière Sancta Maria, succurre miseris dont la composition est attribuée à Saint Augustin. C’est là certainement un témoin irréfutable de la haute antiquité de culte rendu à Marie, mettant en évidence que l’attitude des chrétiens ne change pas et qu’au XXIème siècle, nous sommes en parfaite union de foi et de sentiments avec l’Eglise primitive. Le P. Delattre fit encastrer ce carreau pour qu’on puisse bien le voir, dans la première plaque de marbre apposée au mur latéral de la chapelle de la Sainte Vierge dans la Cathédrale de Carthage.

Cathedrale de Tunis


[1] Delattre, L., Quelques notes d’archéologie chrétienne, Lyon, 1910, p. 2.

[2] Cf. Gauckler, P, Compte-rendu de la marche du Service des Antiquités en 1901, p. 8 ; Audollent dit : « Il semble prouvé aujourd’hui que ces statuettes sont bien d’origine et d’inspiration chrétiennes » (cf. Carthage romaine, p. 850).

[3] Dans les fouilles des anciennes basiliques et des maisons chrétiennes, on a trouvé de nombreux débris, de plaque d’argile cuite, portant des symboles chrétiens variés. Ces carreaux formaient le revêtement des murs, à l’intérieur de l’édifice.

[4] Rohault de Fleury, Ch., La Sainte Vierge : études archéologiques et iconographiques, Paris, 1878.

[5] Delattre, L, op.cit., p. 88.

[6] Nicétas renvoya des troupes à Carthage où son cousin Héraclius préparait une expédition navale contre Constantinople. Les navires furent garnis de soldats qui étaient en grande partie des Maures ; une icône de la Vierge Marie fut placée à la proue du vaisseau amiral… La flotte apparut le 3 octobre 610 devant la capitale en proie à l’anarchie. Une partie de la population ainsi que la garde impériale, commandée par le comte Priscus, ancien officier de Maurice, mais devenu le gendre de Phocas, se rallièrent d’emblée à Héraclius. Le 5 octobre, Phocas est arrêté et emmené devant lui, sur son navire ; il le fait exécuter sur-le-champ. Le même jour, Héraclius se marie à Fabia Eudocia et est couronné empereur par le patriarche Serge Ier. (Cf. Nicéphore, Histoire de l’empereur Hiéraclius, traduction française M. Cousin, t. III, Paris).

[7] A Constantinople, la Nikopeia était conservée dans l’Eglise du Phare, très riche en reliques insignes.

[8] De Fleury, Ch., La Sainte Vierge…, t. II, p. 98.

Un commentaire :

  1. Jean-Marie ROBERT

    Le curé de Tébessa s’appelait bien DELAPARD, il était d’origine toulousaine et il est décédé en 1902 à Tébessa où il repose encore … Un passionné d’archéologie !

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