RELIQUAIRE DE SAINT LOUIS ROI A LA CATHEDRALE DE TUNIS

Sur les pas de Saint Louis, le reliquaire de Carthage,

chef-d’œuvre méconnu d’Armand-Caillat

« Le reliquaire de Saint-Louis de Carthage a les dimensions d’un véritable monument, les deux figures principales suffiraient à la réputation d’un sculpteur »

Eugène-Melchior de Vogüé, A travers l’Exposition, in Revue des Deux Mondes, t.95, 1889.

 

Monumental et élancé, le reliquaire de Saint-Louis de Carthage illumine aujourd’hui discrètement de son or mat et de ses émaux polychromes la pénombre d’un collatéral de la cathédrale de Tunis. Ciselé par le célèbre orfèvre lyonnais Armand-Caillat[1] ce chef d’œuvre, autrefois acclamé[2], mérite un coup de projecteur.

Revenons d’abord en 1884. Soutenu par la France qui vient d’imposer le régime du protectorat au bey de Tunis[3], le cardinal Lavigerie[4], alors archevêque d’Alger et vicaire apostolique de Tunis fait relever à son profit par Léon XIII le siège métropolitain de Carthage. Souhaitant rendre, après huit cents ans de sommeil, la première place à son siège archiépiscopal, le nouveau primat d’Afrique lance d’ambitieux projets. Le premier d’entre eux est la construction d’une cathédrale à Carthage. Elle prendra place sur la colline de Byrsa, devant la modeste chapelle construite par Louis-Philippe sur le lieu supposé de la mort de Saint Louis le 25 août 1270. Financée par l’Œuvre de Carthage du comte de Buisseret, qui fait appel aux descendants des compagnons de Saint Louis[5], la cathédrale est achevée en 1890 et solennellement consacrée le 15 mai. Au centre de cette imposante basilique byzantino-mauresque, chacun admire alors ce reliquaire.

En bronze doré partiellement émaillé, il est composé de trois registres distincts formant une sorte de pyramide et mesure plus de deux mètres vingt de haut par près d’un mètre quarante de large[6]. La base, soutenue par des dragons ailés, est un socle rectangulaire historié, au-dessus, deux anges agenouillés soutiennent à bout de bras une châsse en forme de Sainte-Chapelle.

Les grands côtés du socle, structurés par les ailes des dragons, sont ornés de motifs floraux encadrant deux scènes de la vie de Saint Louis. Sur le devant, la dernière communion du roi malade, soutenu par son fils Philippe, derrière, ses adieux à sa femme Marguerite devant les remparts d’Aigues-Mortes. Sur les petits côtés, ciselés d’or sur fond noir, apparaissent les noms des donateurs, en tête desquelles le comte de Chambord et le comte de Paris[7].

L’âme de l’œuvre est sa partie centrale, constituée par deux extraordinaires anges-chevaliers en costumes du XIIIe siècle. Celui de droite, symbole de la France chrétienne se tient sur un écu d’or à la croix de Jérusalem de gueules, et présente la couronne d’épines. Celui de gauche, figure de la France royale, sur un écu de France ancien bordé de gueules[8], tient délicatement le sceptre royal (aujourd’hui disparu). Chacun porte une épée au côté et un manteau fleurdelysé recouvrant une partie de la cotte de mailles qui laisse saillir les muscles. Encadrés par leurs ailes, ils portent, à bout de bras sur un sudarium, un plateau sur lequel repose une Sainte-Chapelle aux vitraux émaillés, le reliquaire proprement dit, vide aujourd’hui.

L’histoire des reliques qu’il contenait est connue. C’est une partie des viscères de Saint Louis rapportées en Sicile par son frère cadet Charles d’Anjou en 1270, conservées ensuite à l’abbaye de Monreale près de Palerme puis offerte par François II des Deux-Siciles au cardinal Lavigerie[9]. Elles sont vénérées à la cathédrale de Carthage jusqu’au modus vivendi conclu en 1964 entre le Saint-Siège et la République de Tunisie[10]. La majorité des biens de l’église est alors cédée à l’État tunisien. La cathédrale Saint-Louis est désaffectée[11] et le reliquaire transféré à l’église Sainte-Jeanne-d’Arc de Tunis. En 1985, Mgr. Callens, prélat de Tunis en extrait les reliques et les donne à l’évêché de Saint-Denis. Là, excepté pour un voyage à Saint-Louis du Missouri en août 1999 avec le prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, elles sont à peu près oubliées. Enfin, le 16 octobre 2011, en présence d’une délégation de chevaliers de l’ordre du Saint-Sépulcre, elles sont solennellement transférées à la cathédrale Saint-Louis de Versailles, où depuis, elles sont offertes à la vénération des fidèles.

Quand au reliquaire d’Armand-Caillat, témoin de la brève restauration du primat d’Afrique, il est transféré en 1996, sur ordre de Mgr. Fouad Twal, alors évêque de Tunis, à la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul[12]. Aujourd’hui, mis en valeur au centre d’un important ensemble de reliques provenant des diverses églises désaffectées de Tunisie, il mérite une visite, car, vide, mais toujours admirable, il chante encore à celui qui l’écoute le poème du roi chrétien.

Remerciements à Mgr. Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, au R.P. Silvio Gaston Moreno, vicaire de la Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul de Tunis, et à MM. Bernard Berthod, Étienne Martin, Ulrich Münstermann et Adel Skhiri.

 

AUTEUR DE CET ARTICLE: Jean-Christophe Palthey. Extrait de : « Les Nouvelles de la Lieutenance de France. Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, janvier 2017, n° 83 »

 


[1] Thomas Joseph Armand dit Armand-Caillat (1822-1901), de cet artiste inspiré, Bernard Berthod écrit dans son Dictionnaire des arts liturgiques « La grande originalité de son œuvre est sa portée spirituelle. L’objet devient un poème centré sur un thème ou une idée auquel concourent les scènes, les inscriptions, les couleurs, les gemmes et les formes. »

[2] Avant d’être installé à Carthage, il fut présenté à la Procure des Missions d’Afrique en 1887 et à l’exposition universelle de 1889. Un commentaire irremplaçable par l’Abbé Reure est consultable sur internet. Le reliquaire de Saint-Louis de Carthage, Lyon, imprimerie Mougin-Rusand, 1887.

[3] Traité du Bardo 12 mai 1881.

[4] Chevalier du Saint Sépulcre depuis 1859, il en arborait volontiers les insignes. Cf. l’article de M. Étienne Martin, À propos du portrait de Mgr Allemand-Lavigerie, évêque de Nancy, conservé à l’Évêché de Nancy et de Toul, Le Pays Lorrain, 90 (2009), 241-244.

[5] Les armes de 234 souscripteurs, descendants de croisés, y sont toujours gravées dans le marbre sur les murs et les colonnes.

[6] Actuellement présenté sur une modeste structure métallique d’une cinquantaine de centimètres, il était dans la cathédrale de Carthage au sommet d’un imposant autel architecturé en marbre à deux étages, orné d’une dédicace débutant par les acclamations carolingiennes XPC : VINCIT : XPC : REGNAT : XPC : IMPERAT, derrière IN : HONOREM : S.LUDOVICI : FRANCORUM : REG, et sur les côtés EX : OSSIB : S.LUDOV / EX : PRÆC : S. LUDOV. L’ensemble devait alors mesurer plus de cinq mètres de haut. L’autel est toujours en place à Carthage.

[7] Tous deux chevaliers du Saint Sépulcre, depuis 1822 et 1884.

[8] Cette curieuse bordure de gueules est peut-être une volonté d’Armand-Caillat de représenter les armes d’Anjou, pour évoquer Charles d’Anjou, frère du roi.

[9] Ainsi qu’un petit morceau d’os du crâne ayant une autre origine.

[10] Les catholiques ayant massivement quitté la Tunisie après l’indépendance en 1956, le siège archiépiscopal de Carthage redevint un siège titulaire dont le premier bénéficiaire fut, en 1967, le cardinal Casaroli… signataire du modus vivendi. Après 1964, la Tunisie devint une prélature territoriale, érigée en diocèse en 1995, puis en archidiocèse en 2010. Mgr. Ilario Antoniazi, ancien séminariste à Beit-Jala, est depuis 2013 archevêque de Tunis, il succède à Mgr. Maroun Lahham.

[11] C’est aujourd’hui un centre culturel appelé Acropolium.

[12] Inaugurée en 1897, la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul de Tunis est située avenue Habib-Bourguiba en face de l’ambassade de France.


Reliquaire de Saint Louis à la Cathédrale-Primatiale de Carthage

Reliquaire à la Cathédrale de Tunis

 

Relique de Saint Louis conservée dans la chapelle privée des pères de la Cathédrale.

Instrument de penitence

(Photos P. Silvio Moreno, IVE)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *