Pour moi visiter la ville romaine de Bulla Regia (157 km de Tunis) c’est voyager dans le temps. Un effort d’imagination est nécessaire pour bien se représenter ce qu’elle avait été dans l’Antiquité. Même si le site n’est que partiellement fouillé, les monuments à visiter sont nombreux et trés intéressants. Les somptueuses maisons pourvues d’étages souterrains constituent sa principale attraction et célébrité dans le monde. La plus part des monuments les mieux conservés et les plus représentatifs datent de la période romaine. D’autres, parfois moins visibles, datent d’époques très variées allant de la protohistoire à la période byzantine voire même ommeyade (dinastie qui gouverne le monde musulman du 661 au 750).
La vrai signification du mot « Bulla », selon l’archéologue conservateur du site, reste encore énigmatique. Il est probable qu’elle ait joui d’un statut particulier et d’une certaine attention de la part des princes numides (peuple berbère). Elle avait joué le rôle de résidence royale occasionnelle ce qui lui a valu la dénomination royale. A l’époque romaine, a été adjoint au nom de la ville numide l’épithète regia qui signifie royale en latin. A l’époque romaine, Bulla n’a pas cessé de garder sa physionomie propre. Elle conserve encore de son passé prestigieux de résidence occasionnelle des rois numides, son nom et quelques édifices et murs toujours apparents. Malgré tout, la ville s’est intégrée dans le processus de romanisation. En effet l’empereur Hadrien (117 – 138 ap. J.C.) promue la ville au rang de colonie honoraire : Colonia Aelia Hadriana Augusta Bulla Regia. C’est ainsi qu’à Bulla Regia tous les éléments essentiels d’une cité sont représenté : vie politique et administratif (forum, basiliques civiles, arc de triomphe, etc.) ; vie sociale (thermes publiques, latrines, aqueducs, citernes, fontaines, théâtre, nécropole, mausolées, etc.) ; vie culturelle (bibliothèque) ; vie religieuse (capitole à Jupiter, Junon et Minerva, temple d’Apollon, d’Isis, de Saturne, etc.).
Maintenant en suivant le but de ces pages nous allons approfondir plus particulièrement la vie chrétienne à Bulla Regia.
Bulla Regia, cité chrétienne[1] : L’attestation d’un évêque dans cette ville remonte probablement à 256. Cet évêque Therapius de Bulla Regia est au milieu de IIIème siècle le seul évêque connu pour l’ensemble de la Moyenne vallée de la Mejerda.
En 390 nous constatons la présence de l’Evêque Epigone de Bulla Regia au deuxième concile de Carthage. Ce concile et le canon qui résulte de l’intervention d’Epigone constituent un poids décisif dans l’histoire du célibat sacerdotal, car il se porte garant d’une tradition remontant aux apôtres. Le 16 juin 390, les pères du concile votèrent le canon suivant : « Epigone, évêque de Bulle la Royale, dit : Dans un concile antérieur, on discuta de la règle de continence et de chasteté. Qu’on instruise donc maintenant avec plus de force les trois degrés qui, en vertu de leur consécration, sont tenus par la même obligation de chasteté, je veux dire l’évêque, le prêtre et le diacre, et qu’on leur enseigne à garder la pureté […] A l’unanimité, les évêques déclarent : il nous plait à tous que l’évêque, le prêtre et le diacre, gardiens de la pureté, s’abstiennent de leur épouse, afin qu’ils gardent une chasteté parfaite ceux qui sont au service de l’autel ».
Dans le jour qui précédait Pâques de l’année 399, saint Augustin prêchait dans la ville de Bulla Regia en la considérant comme totalement christianisée. La cité est aussi représentée par deux évêques au concile de Carthage — ouvert le 1er juin 411 — qui condamne le schisme donatiste : un catholique Dominicus et un donatiste Félix. Par la suite, la persécution arienne de l’époque vandale entraîne à Bulla Regia un épisode tragique : le massacre de catholiques dans la basilique[2]. Victor de Vita nous raconte :
« À partir de ce jour, la fureur de Geisérich contre l’Église de Dieu ne fit que s’accroître… Une certaine année, le jour de la fête de Pâques, le peuple de Regia avait forcé les portes de l’église, que la persécution avait fermées, et s’y était réuni en l’honneur des solennités pascales : les Ariens s’en aperçurent ; sur-le-champ un de leurs prêtres, nommé Auduit, racola une troupe de gens armés, qu’il lança à l’attaque de cette foule innocente. Ces gens firent irruption dans l’église, le glaive au clair, et se livrèrent au carnage, tandis que d’autres, postés sur les toits, criblaient l’assistance de leurs flèches, lancées par les fenêtres. Précisément un lecteur debout à l’ambon chantait la mélodie alléluiatique, le peuple de Dieu écoutant et répondant alternativement ; à l’instant une flèche vint l’atteindre à la gorge ; ses mains laissèrent aussitôt échapper le livre, et lui-même s’affaissa sans vie. Un très grand nombre d’assistants tombèrent à l’entour de l’autel, frappés à mort par les flèches et les javelots. Et ceux qui, pour le moment, échappèrent au glaive, furent dans la suite, sur l’ordre du roi, accablés de mauvais traitements et massacrés pour la plupart, surtout ceux d’un âge avancé ».
Une inscription de la fin du VIème siècle trouvée à Bulla Regia mentionne le nom du prêtre Alexandre. Au VIIème siècle, la présence d’un évêque semble prouver que la ville a conservé, encore à cette date, une certaine importance.
Parmi les monuments chrétiens découverts à ce jour, on note un ensemble épiscopal, une mosaïque chrétienne décorée des quatre fleuves du paradis avec une inscription biblique, une « chapelle du prêtre Alexandre » dont on parlera tout à l’heure dans laquelle était découvert un linteau gravé d’un verset du psaume 120.
Basiliques chrétiennes et ensemble épiscopal [3] : Ces monuments font partie d’une série bien connue en Afrique du Nord d’églises doubles. Cet ensemble épiscopal a été dégagé par P. Quoniam entre 1952 et 1954 et étudié par N. Duval à la fin des années 1960. Les deux églises ne sont guère contemporaines car la façade de la petite s’appuie contre le mur de la grande. Lui sont accolés au Nord un ensemble thermal où on voit encore deux piscines. D’après un fragment de plaque de marbre, la grande église, semble avoir abrité des reliques de saint Étienne, proto-martyr, datant du VIème siècle. D’autres inscriptions mentionnent des martyrs.
La grande basilique (cathédrale catholique de la ville) : On pénètre actuellement dans l’Eglise par deux portes sensiblement égales et dont les seuils sont en place. Il semble qu’elles aient été percées tardivement, l’une d’elles est bordée d’un bloc inscrit au Nord-Ouest et d’une base moulurée au Sud-Est a pu succéder à un édifice pourvu d’une seule abside à l’Ouest. Elle possède deux absides opposées et semble avoir deux coupoles aux extrémités de la nef centrale. Les portes donnaient accès au rectangle du quadratum populi qui est divisé en trois nefs (lieu de réunion des fidèles). La nef centrale était couverte d’un toit en charpente. L’abside Est accessible depuis le chœur par une marche garde encore les restes d’un synthronos (siège épiscopale).
Le sol, surtout au niveau de l’autel, était richement orné de belles mosaïques géométriques (palmettes) et figurées (dauphins, volatiles divers, paons, portrait d’homme barbu). Elles sont contemporaines du dernier état du bâtiment et appartiennent par le style, les coloris très simples et les motifs à une école de mosaïstes d’époque byzantine.
Devant l’abside Ouest, se situe une cuve baptismale cruciforme (croix de Saint ‘André) « énigmatique » au milieu d’un pavement en opus sectile. Elle constitue un cas unique en son genre en Afrique du Nord chrétienne puisque les cuves baptismales sont d’ordinaire aménagées dans des salles autour de l’église, c’est-à-dire en vue du rite baptismal auquel elles sont destinées. Cette cuve cruciforme résulte en fait de la succession en un même lieu de deux cuves rectangulaires perpendiculaires, la première ayant été comblée lors de l’aménagement de la seconde. La cuve destinée au baptême se trouvait au VIème siècle dans la nef de l’Eglise et une contre abside avait été construite en liaison avec le baptistère intérieur. Elle était abritée par un ciborium dont les colonnes étaient reliées par des chancels.
Dans l’une des tombes de cette église a été trouvé un petit trésor de monnaies omeyyades[4]. Cette trouvaille semble prouver que l’église a été utilisée après la conquête arabe.
La petite église : cet édifice situé au Nord est postérieur à la grande Basilique car la façade s’appuie sur le flanc Nord-Ouest de cette dernière. On accède au bâtiment par trois portes assez étroites. Il comporte trois nefs. L’abside est précédée d’une estrade pour l’autel. Le chœur qui était couvert par une coupole parait avoir été entièrement mosaïqué. Il n’en reste aujourd’hui qu’un panneau rectangulaire comportant deux paons bleus et gris affrontés à un Cratere « vase grecque » au milieu de branches fleuries.
La « Domus Dei » dans l’insula de la pêche : La maison n°10 dans l’insula appelée « de la pêche » (pas forcement visible aujoud’hui) à côté de celle de la chasse est une salle chrétienne, une Domus ecclesiae. Cela témoigne de la véracité de ce que disait saint Augustin : une ville complètement chrétienne. Le pavement mosaïqué porte une citation de la Genèse, 28, 17 (haec est porta caeli et haec est domus Dei « Voici la porta du ciel, voici la maison de Dieu), une représentation du paradis chrétien avec les palmiers et les noms des fleuves (Pison, Tigris, Geon…). Cette salle était occupée par des chrétiens ou bien elle était une chapelle privée. Ceci suggère fort probablement l’idée d’un exemple unique en Afrique du Nord d’une Domus ecclesiae[5] : la tradition chrétienne a spécialisé l’expression pour désigner un type particulier d’édifice utilisé pour le culte chrétien. Cette maison de l’Église (la communauté fidèle) n’est pas une église, un établissement conçu et construit pour le développement de la célébration liturgique. Les chrétiens occupent, lorsqu’ils s’assemblent dans la prière commune, tout ou partie d’un local privé ; peut-être l’adaptent ils aux besoins de leurs réunions, mais les contraintes de l’édifice préexistant limitent cet aménagement, d’autant que l’utilisation chrétienne n’implique pas nécessairement une occupation permanente et définitive. Bien entendu, les communautés chrétiennes utilisent ces lieux de culte au temps d’une chrétienté encore mal établie ; avec la paix de l’Église en 313 le sentiment d’une sécurité moins provisoirement acquise favorisent la construction des grandes églises qui enracinent triomphalement la présence chrétienne dans le sol de la cité. Mais il est possible qu’après la paix constantinienne les missions en terres lointaines et païennes aient continué à utiliser des domus pendant le temps qui précédait la construction d’une église ; ou même elles ont pu faire construire des lieux de culte dont la disposition sommaire rappelait l’édifice pré-constantinien.
Saint Augustin à Bulla Regia. Sans doute pour les chrétiens Bulla Regia devient plus intéressant grâce à la présence et à la prédication de Saint Augustin. Par ces écrits nous savons qu’il visita plusieurs fois la cité. En effet, la ville de Bulla Regia était dans le chemin qui reliait Hippone à Carthage. En 399, l’évêque de la ville de Bulla oblige Augustin à rester et lui supplie de prêcher aux habitants. Augustin profitant de la célébration liturgique de saints martyrs macchabées le 1 aout 399[6] prêcha dans la cathédral de la ville[7] un extraordinaire sermon condamnant la propension des habitants de la ville aux loisirs obscènes et au théâtre, futilités auxquelles les habitants de la cité voisine de Chemtou avaient presque entièrement renoncé.
Saint Augustin à la communauté chrétienne de Bulla Regia[8]. Voici quelques extraits de son sermon :
« …Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons aujourd’hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla! dans toutes les villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne rougissez-vous point d’être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur ces marchés romains, où vous achetez le blé, le vin, l’huile, des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à l’acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces échanges, si on leur disait : Que cherchez-vous ? des mimes ? des prostituées ? vous en trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous ? Pour moi, je ne vois point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c’est la douleur qui me fait parler, mais toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout cela est fini depuis longtemps ; c’est de votre ville que l’on nous amène ces infamies. Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n’y a que des chrétiens, et des chrétiens agissent de la sorte ! C’est avec une douleur bien vive que je vous parle ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre cœur ! Nous le disons à votre charité… Voici des spectacles. Que les chrétiens s’abstiennent… Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s’ils veulent persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne hantez plus les théâtres ».
« Mais je ne vous vois ici qu’en petit nombre. Voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces mêmes hommes qui remplissent aujourd’hui les théâtres ? Ah! comparez les lieux, et frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s’abstenir, c’est bien pour vous, qui êtes clercs, qui êtes évêques ; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc dans cette excuse?… Ce n’est ni aux clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s’adressait l’Apôtre quand il disait : «Vous êtes les membres du Christ » ; c’est à la multitude, c’est aux fidèles, c’est aux chrétiens qu’il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Je reprends donc les paroles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? » Et nos chrétiens non-seulement aimeront, mais encore établiront des prostituées ? Un catéchumène se méprisant lui-même, nous dira : Je ne suis qu’un catéchumène. Comment, tu es catéchumène ? Oui, catéchumène. Autre est donc ton front marqué du signe du Christ, et autre ton front pour aller au théâtre ? Tu veux y aller ? Change ton front, et va ensuite. Mais ce front que tu ne saurais changer, garde-toi de le perdre. Le nom du Seigneur est invoqué sur toi, le nom du Christ est invoqué sur toi, Dieu est invoqué sur toi, le signe de la croix du Christ a été marqué, sur ton front. C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, à vous tous que je m’adresse ».
« Oserai-je vous dire : Imitez la ville de Simittu qui est proche ?… parlons plus clairement au nom du Seigneur Jésus. Là nul n’entre au théâtre nul libertin n’est resté là. Un légat voulut y rétablir ces obscénités ; nul homme de la haute ni de la basse classe n’y mit le pied ; pas un juif n’y entra. N’y a-t-il pas là des habitants honorables ? N’y a-t-il pas là une cité ? Cette colonie n’est-elle pas d’autant plus honorable qu’il y a moins de ces obscénités ? Je ne vous tiendrais pas ce langage, si j’entendais dire de vous le même bien. Mais je crains que mon silence n’attire sur moi une semblable condamnation. Dieu donc a voulu, mes frères, que je vinsse à passer par ici. Mon frère m’a retenu, m’a commandé, m’a supplié, m’a forcé de vous prêcher. Que dire, sinon ce qui m’est le plus douloureux ? Ne savez-vous point que moi, que nous tous, nous rendrons compte à Dieu de vos louanges ? » Croyez-vous que ces éloges soient un honneur pour nous ? C’est une charge plus qu’un honneur. Il nous sera demandé un compte sévère de ces louanges, et je crains sérieusement que le Christ ne nous dise au jour de son jugement : Mauvais serviteur, vous receviez volontiers les acclamations de mon peuple, et vous gardiez sur leur mort un coupable silence. Mais le Seigneur notre Dieu nous accordera d’entendre à l’avenir du bien de vous, et dans sa miséricorde, il nous consolera par votre conversion. Ma joie sera d’autant plus grande alors qu’aujourd’hui ma tristesse est plus profonde ».
La croix byzantine de Bulla Regia[9]
Église d’Alexander : Le bâtiment dénommé « église d’Alexander » se situe à proximité des « grands thermes sud », hors du parc archéologique, et les vestiges en sont peu impressionnants. Les fouilles effectuées en 1914 ont déterminé une destruction par le feu et des vases de verre, des grands plats de céramique et surtout des amphores, qui contenaient encore des traces de vin, d’huile et de céréales, ont été découverts en son sein. L’identification à un bâtiment religieux est due à une croix offerte par un prêtre dénommé Alexander et surtout une inscription tirée d’un psaume 120 gravée sur un linteau de porte : « Dominus custodiat introitum tuum et exitum tuum ex hoc nunc et usque in saeculum. Amen. Fiat, fiat ! Que le Seigneur protège ton entrée et ta sortie maintenant et à jamais. Amen. Ainsi soit-il.
Découvrons un peu plus ce signe religieux :
La croix processionnelle découverte a été offerte par le Dr Carton au Musée du Bardo où elle se trouve actuellement. Dans les dépendances de cette église, on remarque deux lignes d’auges, exactement pareilles à celles qui ont été rencontrées dans la basilique de Tébessa et dans d’autres basiliques africaines, par exemple à Haïdra. De chaque côté du « presbyterium », les fouilles ont fait retrouver les deux sacristies, encore garnies du mobilier qui les caractérisait (exemple reliquaires).
Au milieu de la première sacristie, les offrandes étaient demeurées en place : elles consistaient en grains et en victuailles déposés dans de grandes amphores près desquelles étaient entassés des vases de formes variées, des mortiers, des pilons, etc.
Dans la seconde, à côté de grands récipients semblables, on trouva des ustensiles et des objets sacrés. Parmi les plats et les vases en bronze gisait une grande croix.
Image exécuté par M. le marquis d’Anselme.
Elle est en cuivre revêtu d’une mince couche d’argent et mesure 0 m 25 de hauteur sur 0m 20 de largeur. Près d’elle on en ramassa deux autres, très petites, pourvues d’une chaînette qui se termine par un crochet : ce détail porte le Dr. Carton à croire que ces petites croix étaient suspendues aux anneaux latéraux de la grande.
La forme de cette grande croix est celle des objets du même genre que nous retrouvons en Gaule, à l’époque mérovingienne et, vers le même temps, dans les autres régions du monde chrétien. La branche du bas est un peu plus allongée que les autres ; les quatre branches, depuis leur naissance jusqu’à leur extrémité, vont en s’élargissant et se terminent par une découpure concave. Cinq mascarons, cerclés et bombés, en forment l’ornementation ; ils sont disposés l’un au point central de la croix, les autres à l’extrémité de chaque branche que termine un anneau fixe et solide. Une inscription « grecque » est gravée sur la face antérieure. Elle se lit de haut en bas et on en poursuit la lecture sur les croisillons, de gauche à droite :
+ VΠEP
EVXH
C(xαi)Cῶ
THPI
ΛCΛ
ΛΣΞ
Ainsi cette croix avait été donnée à l’église de Bulla Regia par le prêtre Alexandre, en accomplissement d’un vœu. Elle paraît remonter à la fin du VIème siècle de notre ère.
A la partie postérieure, on remarque une douille à section rectangulaire qui a été figurée dans la partie gauche du dessin et qui devait servir à l’introduction de la tige destinée à supporter la croix. Ce détail indique probablement qu’il s’agit d’une croix processionnelle. Sur la douille est gravée la lettre « A » qui pourrait être l’initiale du nom du donateur, « Alexandre ».
La croix de Bulla Regia présente une analogie frappante avec une autre croix processionnelle de la même époque qui provient de Homs de Syrie. A la même époque remonte également un monument insigne, servant de reliquaire à un fragment de la vraie croix et conservé au Vatican, la croix d’argent doré, offerte par l’empereur Justin II (563-578) à la basilique de Saint-Pierre. Ornée de pierreries sur sa face antérieure, elle porte du même côté une inscription s’étendant non seulement sur les croisillons, mais couvrant aussi, comme les inscriptions des croix de Bulla Regia et d’Edesse, le bras inférieur et le bras supérieur :
+ LIGNO QVO CHRISTVS HVMANVM
SVBDIDIT HOSTEM DAT ROMAE IVSTINVS OPEM ET SOCIA DECOREM
Le monument se trouve donc daté d’une manière certaine. Il présente cette particularité d’être richement ornementé sur ses deux faces, tandis que les croix d’Edesse et de Bulla Regia ne portent, sur la face postérieure, aucune légende, ni aucun sujet gravé.
P. SILVIO MORENO, IVE
NOUVELLE EGLISE ET TOMBES CHRETIENNES DANS LA PERIPHERIE DE BULLA REGIA EN 2018
Une campagne de fouille archéologique a été lancée dans la nouvelle église périphérique du site archéologique de Bulla Regia. Les travaux, qui entrent dans le cadre du projet de collaboration signé entre l’Institut National du Patrimoine de Tunis (INP) et l’University College of London (UCL), ont eu lieu entre les 7 et 28 septembre 2018.
L’équipe pluridisciplinaire réunit archéologues, anthropologues, doctorants des universités tunisiennes et conservateurs du patrimoine et a été dirigée par le chargé de recherches archéologiques et historiques Moheddine Chaouali.
Selon l’INP, l’étude s’est penchée à l’étude de l’héritage chrétien remontant la période qui oscille entre les IVe et VIIe siècles ap. J.-C. « Un intérêt particulier a été accordé à l’étude de la répartition des tombes chrétiennes à l’intérieur de l’église et dans ses abords immédiats, aux analyses anthropologiques et d’ADN afin d’identifier les sexes des défunts, les maladies, les causes des décès, les régimes alimentaires, l’espérance de vie… et à un inventaire exhaustif et étude de l’ensemble du matériel exhumé (céramiques, monnaies, verres, ossements humains…) », annonce-t-on.
(Source:http://www.webdo.tn/2018/10/05/une-campagne-de-fouille-tuniso-anglaise-au-site-archeologique-de-bulla-regia/)
http://www.inp.rnrt.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=215%3Ades-travaux-scientifique-en-2018&catid=3%3Aactivites&Itemid=7&lang=fr
[1] Cf. Moheddine Chaouali, Bulla Regia, Bulla la royale, Tunis, 2010 ; Christophe Hugoniot, Rome en Afrique. De la chute de Carthage aux débuts de la conquête arabe, Paris, 2000, p. 214.
[2] Victor de Vita, Histoire de la persécution vandale, t.I, L. XIII.
[3] Azedine Beschaouch, Roger Hanoune et Yvon Thébert, Les ruines de Bulla Regia, éd. École française de Rome, Rome, 1977, p. 43-48 et 115.
[4] Les omeyyades sont une dynastie arabe de califes qui gouvernent le monde musulman de 661 à 750. Ils sont originaires de la tribu de Quraych, qui domine La Mecque au temps de Mahomet.
[5] Pietri Charles. Recherches sur les domus ecclesiae. Revue des Études augustiniennes, XXIV, 1978, p. 3-21. In : Christiana respublica. Éléments d’une enquête sur le christianisme antique. Rome : École Française de Rome, 1997. pp. 127- 145.
[6] Trois sermons de Saint ’Augustin ont été prêché en l’honneur de saints Macchabées dont un dans la ville de Bulla Regia. Le récit du martyre des Macchabées (2 Macc 7, 1- 41) était donc lu en entier à la messe comme première lecture sans doute et l’évangile de Luc 14, 28-33 était une péricope lucanienne sur les exigences de l’imitation du Christ. (Cf. Victor Saxer).
[7] La prédication fut dans l’Eglise et non pas dans le théâtre comme beaucoup croient imaginer.
[8] Saint Augustin, Dix-septième sermon. Pour la fête des Macchabées.
[9] Nous faisons ici un résumé de la présentation de Héron de Villefosse Antoine. La croix byzantine de Bulla Regia. In: Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 58e année, N. 8, 1914. pp. 697-702.