LA LITTÉRATURE CHRÉTIENNE

LA LITTÉRATURE CHRÉTIENNE ET LES PERSONNAGES SYMBOLES DES IIe-Ve SIÈCLES

Note sur les langues et les dialectes à la fin du IIe siècle

Quelles étaient, à la fin du IIe siècle, après plus de quatre siècles d’occupation romaine, les langues en usage en Afrique du Nord, spécialement dans les assemblées chrétiennes? A côté des dialectes locaux, regroupés sous la mention générique de punique et de berbère ou libyque, cohabitaient le grec et surtout le latin.

Le latin,  en tant que langue de culture, de l’armée et de l’administration, avait tout en sa faveur pour une large et rapide diffusion. Si les gens employaient une langue déformée, un mélange d’africanisme avec un fort accent punique, le latin fut la langue de l’Eglise, étudiée par les africains avec une application soutenue. Il est remarquable que l’Afrique ait été le seul pays, alors sous domination romaine, à avoir produit des écrivains qui honorent les lettres latines comme Apulée, Tertullien, Cyprien, Lactance, et celui qui les domine tous, Saint Augustin.

Fait encore plus remarquable: les premières traductions latines du psautier et du nouveau testament sont d’origines africaines. Alors que, dans les églises italiennes, la liturgie se déroulait en grec, en Afrique le latin prévalait. La comparaison des citations bibliques de Tertullien et de Cyprien démontre qu’il existait, dès le temps de Tertullien, une traduction latine. « L’Afrique semble bien être la patrie de la Bible latine, qui ajoute que, pour donner une traduction latine à l’usage du peuple, les églises italiennes auraient pris le texte africain comme base, mais en le corrigeant d’après le grec qui se trouvait en regard »[1].

Une langue aussi prestigieuse et ancrée dans les mentalités et l’usage ne pouvait disparaître tout d’un coup. Le raz-de-marée de la conquête arabe la refoula dans les campagnes. Le dernier témoignage que l’on a encore de son usage nous est donné par le géographe andalou al-Idrisi, qui rapporte que « la langue latine d’Afrique » était encore parlée de son temps au XIIe siècle dans le sud tunisien, à Gafsa. Ultime lumière d’une grande langue sur les ruines de sa civilisation.

D’aucuns affirment avec raison que: «  L’Afrique est le seul pays qui avant Constantin ait eu une véritable littérature chrétienne de langue latine ».

Les principaux écrivains de la Carthage chrétienne sont :

Tertullien (160-225) : Originaire de Carthage et fils de centurion, il se convertit au christianisme et fut ordonné prêtre à Carthage vers 190. C’est le premier des écrivains chrétiens de langue latine et il exerça en Afrique du Nord un véritable magistère doctrinal. D’abord ardent et brillant défenseur de la foi chrétienne, il se laissa séduire par les idées de Montan. Il s’en sépara plus tard pour fonder une nouvelle secte, les « tertullianistes », qui eurent une basilique à Carthage. Son œuvre littéraire est considérable. Il est à la fois, apologiste, théologien et moraliste. Son plus bel ouvrage est l’apologétique où il réfute éloquemment les accusations portées par les païens contre les disciples de Christ.

Saint  Cyprien de Carthage (210-258) : Né à Carthage d’une riche famille païenne, Thascius Caecilius Cyprianus, rhéteur et avocat, reçoit le baptême en 245 ou en 246 et fut presque aussitôt ordonné prêtre. En 249 il est consacré évêque, et il succéda à Donatus sur le siège épiscopal de Carthage. Exilé en 257 en vertu de l’édit de Valérien, il fut décapité le 4 septembre 258 en présence de son clergé et de ses fidèles. Plusieurs sanctuaires lui furent dédiés à Carthage dont : la basilique de Saint Cyprien à l’ « ager sexti », lieux de son martyre, la basilique de Saint Cyprien, au cimetière des Mappales, aux camps du procurateur Macrobius Candidus, où son corps fut enseveli, et la basilique de Saint Cyprien sur le bord de la mer. Un reliquaire portant son nom a été découvert dans la basilique-cathédrale d’Haïdra au sud de la Tunisie. Bien qu’il n’ait écrit que pour remplir les devoirs de sa charge, Saint Cyprien qui fut l’un des plus dignes évêques de l’Eglise d’Afrique, en est aussi l’un des plus grands écrivains. Le chef-d’œuvre de sa correspondance révèle tout entière son âme d’apôtre et de martyr. Il fut à l’origine de la tenue de la plus importante conférence épiscopale en 256 à laquelle étaient présents plus de 80 évêques africains. Cyprien fut un évêque d’une grande spiritualité, profondément inspiré par les écritures, et dont les qualités furent servies par un incontestable talent littéraire. 

Lactance (250-325) : Le surnommé « Ciceron chrétien » né vers 250 dans les environs de Constantine, fut au Kef l’élève d’Arnobe. Il y enseigna avec grand succès la rhétorique. Nominé par Dioclétien professeur d’éloquence à Nicomédie, il se convertit vers 300 au christianisme. Vers 316, Constantin lui confia l’éducation de son fils Crispus. Lactance a laissé un grand nombre d’ouvrages dont quelques-uns sont fort beaux. Ils ont pour but de défendre la religion chrétienne contre les païens ou d’attirer vers elle les païens cultivés. C’est en particulier l’objet de ses « Institutions Divines ». 

Saint Augustin (354 – 430) : Naquit à Thagaste, dans l’actuelle Algérie, le 13 novembre 354 d’une mère chrétienne, Sainte Monique et d’un père païen, Patricius, qui ne se convertira qu’à la fin de sa vie. Etudiant à Madaure, puis à Carthage, il eut une jeunesse peu édifiante. Professeur d’éloquence à Carthage, à Rome et à Milan, il se convertit en 386 et fut baptisé à Milan par Saint Ambroise le 24 avril 387. Saint Augustin reprit aussitôt le chemin de l’Afrique avec sa mère qui par ses prières, ses conseils et ses larmes, avait tant contribué à sa conversion. Sainte Monique mourut à Ostie, le port de Rome. Après un court arrêt à Carthage, Saint Augustin alla fonder prés de Souk-Ahras un monastère où il passa trois ans dans le recueillement et l’étude. Ordonné prêtre malgré lui à Hippone en 392, il devint en 395 coadjuteur, puis en 396 successeur de l’évêque Valérien. Il mourut dans sa ville épiscopale assiégée par les Vandales le 28 août 430. Son œuvre est considérable, infiniment riche et variée. Les Confessions et la Cité de Dieu sont ses chefs-d’œuvre. Les lettres qui nous restent de lui sont d’un prix inestimable : elles nous révèlent le fond d’une âme toute à Dieu et à ses devoirs de Pasteur. Les cinq cents sermons qui nous ont été conservés, reflètent toute la vie chrétienne et même profane de son époque. Parmi les docteurs de l’Eglise latine, Saint Augustin est regardé à bon droit comme le plus profond et comme celui qui a exercé la plus durable influence. 

Saint Fulgence de Ruspe (467 – 532) : Naquit à Thelepte. Son grand-père Gordianus avait été sénateur de Carthage. Encore jeune, il est nommé haut fonctionnaire du royaume. Après une jeunesse dissipée il devient moine. Il fait un pèlerinage à Rome. Il est élu malgré lui, évêque de Ruspe (Sud-Est de la Tunisie). Exilé en Sardaigne par Thrasamond (roi vandale) il est rappelé à Carthage par ce prince, qui veut discuter avec lui sur l’arianisme. Il est de nouveau exilé en Sardaigne. A l’avènement d’Hilderic, il rentre en Afrique, accueilli avec enthousiasme par les catholiques de Carthage (Basilique de Saint Agilée, aujourd’hui à Bir-Knissia entre Douar-Chott et Salammbo) et des autres villes qu’il traverse pour retourner dans son diocèse. Il se retire secrètement dans une des iles Kerkennah pour y vivre en ermite et dans la pénitence. Les fidèles de son diocèse l’obligent à revenir à Ruspe. Il y meurt très saintement le 1er janvier 532. Bossuet l’a proclamé «le plus grand théologien et le plus saint évêque de son temps». Il jouissait d’une très grande autorité auprès de ses contemporains. Dans les nombreux ouvrages théologiques qu’il a composés, il se montre disciple fidèle de Saint Augustin. 

Victor de Vita (440 –  510) : Nous ne pouvons pas manquer de mentionner ici cet auteur et son ouvrage le plus important : «Histoire de la persécution vandale en Afrique», qui est une référence en ce qui concerne la connaissance de l’histoire de l’Eglise d’Afrique du Nord sur l’époque vandale, et pour ses précisions topographiques pour l’archéologie chrétienne. Victor de Vita, Victor Episcopus Vitensis, évêque en Byzacène, est fêté le 23 août. D’origine berbère, Victor de Vita a vraisemblablement vu le jour entre 440 et 445. Il est sans doute issu de la Patria Vitensis, siège d’un évêché situé dans la partie Nord de la province de Byzacène: dans son récit des incursions vandales, Victor manifeste sa connaissance de la région de Thambeae et d’Aquae Regiae, non loin de l’actuelle ville de Kairouan. Les indications les plus précises le concernant remontent en 477, date du règne d’Hunéric. Dès 480, il semble établi comme membre du clergé de Carthage. Il assiste personnellement aux premières violences et persécutions qui sont exercées contre les fidèles catholiques. En 482, il est contraint à l’exil et doit abandonner son église. Victor partage le sort des chrétiens persécutés et assiste les évêques et les clercs proscrits qu’il accompagne en exil. Il est de retour à Carthage en 484 où se perpétuent les exactions vandales. Vers 504, il aurait consacré Fulgence évêque de Ruspe, en contrevenant à l’édit de Thrasamund qui défendait d’ordonner des évêques à la place de ceux qui mourraient. Pour ce délit, il est exilé en Sardaigne où il meurt vers l’an 510.

Histoire de la persécution vandale en Afrique, (« Historia persecutionis Africanae provinciae, temporibus Geiserici et regum Hunirici Vandalorum »): « Quant à moi, soumettant une nuque d’obéissance à l’injonction de celui qui me donne ordre, je m’efforcerai de faire connaître, de façon succincte et brève, les événements survenues dans les contrées africaines quand s’y déchaînaient les Ariens; et tel un ouvrier dans les campagnes, les épaules lasses, je recueillerai l’or des filons cachés. Mais cette matière, prise encore dans une gangue d’impuretés, je la remettrai sans tarder à l’artiste pour qu’il lui fasse subir l’épreuve du feu et qu’il puisse en façonner des pièces de monnaie. » (Extrait du Prologue).

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Cet ouvrage fut rédigé sous le règne de Gunthamund. Son dessein est de dresser le tableau des persécutions anticatholiques sous les premiers règnes vandales. Quelques indications suggèrent que la rédaction fut destinée à la Cour de Constantinople ou plus largement aux autorités impériales. Le premier livre concernant le règne de Genséric (427-477) est tiré de rapports de tiers, tandis que les deuxième et troisième livres, couvrant le règne de son fils Hunéric, constituent un compte strictement contemporain des événements, dont l’auteur a été pour l’essentiel un témoin oculaire. Le récit s’achève avec le décès d’Hunéric, le 22 septembre 484. 

Victor a jeté beaucoup de lumière sur les conditions sociales et religieuses à Carthage, sur la liturgie africaine de la période et les détails des bâtiments religieux. Son histoire contient beaucoup de documents précieux, non accessibles ailleurs, par exemple la Confession de foi établie pour les évêques orthodoxes par Eugène de Carthage et présentée à Hunéric lors de la conférence des évêques catholiques et ariens en 484.


[1] Cuoq, Joseph. Supplément au dictionnaire de la Bible T.V. Col. 344

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