La dévotion à Notre Dame de Carthage
Après avoir goûté la doctrine de l’Eglise, donnée par les saints évêques, rappelons maintenant, en suivant les dates fournies par le P. Chales, ce que fut la dévotion des fidèles d’autrefois envers la très Sainte Mère de Dieu sous le titre de Notre Dame de Carthage, comme autant de témoignages à conserver et à faire fructifier.
1. La statue de Notre Dame de Carthage
Quelle splendide statue de Notre-Dame de Carthage donnerait la Vierge en bas-relief reproduite seule et agrandie ! Cette sculpture de la Vierge fut un projet du P. Delattre et lui mérita les félicitations de tout le clergé diocésain. Un sculpteur de Tunis, Sauveur Figlia, entreprit le travail artistique. Et le 9 août 1914, à l’issue des vêpres, Mgr Forbes, évêque de Joliette, au Canada, délégué par Mgr Combes, bénit solennellement la superbe statue en marbre de carrare de Notre-Dame de Carthage, que nous admirons aujourd’hui derrière l’autel majeur de la Cathédrale de Tunis, mais qu’autrefois on admirait au-dessus de l’autel de la chapelle de la Sainte Vierge, dans l’ancienne primatiale de Carthage[1].
Notre Dame de Carthage à la Cathédrale de Tunis
Les Byzantins et les Carthaginois aimaient appeler Marie la « Mère de Dieu » (theotokos). Cette mission de la Maternité divine, que de toute éternité le Seigneur voulait lui conférer, est le fondement, la source de tous les privilèges, prérogatives et excellences de Marie, la raison de tous les dons reçus par Elle, la magnificence du Dieu Tout-Puissant. Et parce que Marie est la Mère de Jésus, notre Seigneur, elle est aussi la Mère de tous ceux qui sont les membres de son corps mystique. La statue de Notre-Dame de Carthage nous rappelle toutes ces vérités, toutes ces grandeurs de notre céleste Mère.
Autrefois, dans l’ancienne sacristie de la Primatiale de Carthage se trouvait une autre statue sculptée dans le bois qui était une copie exacte de la statue de marbre : elle s’adaptait sur un brancard pour être portée dans les processions.
Toujours dans l’ancienne Primatiale de Carthage se trouvait contre le pilier, à droite de l’autel de la Vierge, un beau petit bas-relief (aujourd’hui à la chapelle ‘Lavigerie’ dans la Paroisse de la Marsa). C’est une reconstitution partielle et exacte du bas-relief véritable, conservé dans les réserves du Musée de Carthage dans la colline de Byrsa (il n’est pas exposé au public). Il était placé là pour témoigner de l’origine antique et carthaginoise de la grande statue.
2. L’autel de Notre Dame de Carthage
Le 22 mars 1888, à l’occasion de son jubilé épiscopal, les sœurs missionnaires de Notre Dame d’Afrique (sœurs blanches) offrirent à leur fondateur, le Cardinal Lavigerie, un magnifique autel pour sa Cathédrale de Carthage, alors en construction.
Cet autel, qu’on peut toujours apprécier dans le transept gauche de l’ancienne Primatiale, dédié à la Sainte Vierge sous les traits de Notre Dame des Victoires, est un monument en marbre découpé, rehaussé de dorures et de peintures, sorti des ateliers Cantini de Marseille. Pour faire cadrer son œuvre avec l’ensemble de la Primatiale, le sculpteur a fouillé très profondément le marbre en imitant les arabesques. Il était orné de beaux tableaux en émail qui retracent les principaux évènements de la vie de Notre Dame. Quatre grands médaillons occupent la façade du retable : la Présentation de Marie au Temple, l’Annonciation, la Mère des Douleurs au pied de la Croix, l’Assomption. Sur la porte du tabernacle (aujourd’hui portée disparue), la Vierge était représentée, au dernier jour de sa vie terrestre, recevant la Sainte Eucharistie des mains de l’apôtre Jean.
Pour achever la décoration, en se servant de documents archéologiques, et d’après les indications du P. Delattre, au-dessus de la porte du tabernacle, dans les écoinçons, le décorateur avait placé l’adoration des Mages, comme une réplique au bas-relief de Damous el Karita. Entre les groupes de personnages, un ange déployait une banderole ou est inscrite encore aujourd’hui l’antique invocation africaine : «Sancta Maria, adjuva nos! Sainte Marie, secourez-nous ». Enfin, au-dessous du tabernacle, sur le retable, était sculptée en relief, l’autre invocation ancienne en langue arabe: « Protège ta servante, Marie ! ».
Cet autel de marbre blanc, sur un fond bleu, au pied de la blanche statue de Notre Dame de Carthage, allégé par les peintures et les dessins, était certainement d’un bel effet. C’était le désir du P. Delattre : « Je voudrais voir cet autel encadré d’une riche décoration polychrome me rappelant le cher et vénéré sanctuaire de Notre Dame de Bon-Secours dans mon pays natal et capable d’exciter de plus en plus la dévotion envers Marie. La décoration pourrait renfermer comme dans un tableau d’ensemble une sorte de résumé de l’histoire du culte de la Sainte Vierge en Afrique et tout particulièrement à Carthage. La reproduction de l’invocation latine du Vème siècle, de l’invocation grecque du VIème siècle, de l’invocation arabe du XVIème serait un éloquent hommage offert à la Reine d’Afrique. Elle serait en même temps une prédication permanente vraiment catholique pour les nombreux touristes ou pèlerins de tous pays qui visitent Saint-Louis. Une telle décoration parlante contribuerait à augmenter chaque jour les marques de confiance envers la très Sainte Vierge »[2].
3. Les invocations africaines à N.D. de Carthage
La décoration tant désirée par le P. Delattre fut confectionnée par les sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie de l’ancien orphelinat Sainte Monique, sur la colline Sayda, et mise en place en 1913. Il s’agissait de la riche et ample draperie de velours bleu qui tapissait le haut du mur, en arrière de la statue de Notre Dame de Carthage et retombant de chaque côté laissant apparaître en son milieu, une grande rosace sculptée dans le stuc et peinte. Cette draperie portait, brodée en grandes lettres d’or et systémiquement disposées, six invocations à Marie :
Sainte Marie, secourez-nous !
O Mère de Dieu, souvenez-vous de nos prières
O Mère de Dieu, protégez-nous
Mère de Dieu, O Marie, protégez vos serviteurs
Notre-Dame de Carthage, priez pour nous
Sainte Marie, Reine de l’Afrique, priez pour nous.
Les quatre premières de ces invocations ont été relevées sur divers objets antiques, trouvés à Carthage ou en Afrique du Nord comme nous l’avons déjà expliqué. Pour cette raison, le P. Delattre les appelait : « Invocations Africaines ». Elles étaient disposées dans l’ordre chronologique et en diverses langues comme pour témoigner de l’ancienneté et de la perpétuité de la dévotion à Marie en Afrique. Les deux dernières étaient en français, et était l’expression de la dévotion contemporaine.
Revenons maintenant, en suivant les explications du P. Chales, sur chacune de ces courtes et touchantes prières.
– Sancta Maria, adiuva nos (Sainte Marie, secourez- nous): quand les chrétiens de l’ancienne église d’Afrique adressaient à Marie cette prière courte mais confiante, ils devançaient la piété des fidèles qui aime invoquer la Sainte Vierge sous le nom de : Notre Dame Auxiliatrice, Notre Dame du Bon Secours, Notre Dame du Perpétuel Secours. Cette prière si simple et si belle, implorant avec confiance le secours de Marie, proclame sa bonté maternelle et la puissance de son intercession. Nous pouvons remarquer aussi que celui qui prononçait cette formule ne pensait pas à lui seul : secourez-nous ! Les africains priaient donc, comme nous l’a enseigné Jésus-Christ et comme le fait toujours l’Eglise dans sa liturgie, pour tous et au nom de tous.
– O mater Dei, memento meis orationibus ! (O mère de Dieu, souvenez-vous de mes prières !) : gravée sur le pourtour d’une boucle de bronze datant du VIIème siècle et rongée par le temps, cette inscription put être déchiffrée par la patience et la sagacité du P. Delattre. Cette belle prière, pleine d’une humble confiance, nous fait penser à la prière de Saint Bernard: « Souvenez- vous, O Douce Vierge Marie … ne méprisez pas mes prières mais écoutez les favorablement ».
– O Mère de Dieu, protégez-nous : en langue grecque, cette invocation n’est pas exactement (dans son dernier mot), la reproduction de celles empreintes sur les bulles mariales. En réalité comme nous l’avons déjà vu, la prière byzantine, était la prière d’une personne qui se désignait elle-même par son nom, parfois par son titre, comme ici: « O Mère de Dieu, protège ton serviteur Maurice, préfet du prétoire ». Mais elle est bien dans le sens des prières byzantines. C’est ce que le P. Delattre voulait suggérer au pèlerin. « O Mère de Dieu, protégez-nous », nous, qui aujourd’hui encore, croyons à votre bonté maternelle et qui aimons toujours à nous dire vos serviteurs.
– Mère de Dieu, protège ta servante Marie ! (XIVème siècle)[3].
– Notre-Dame de Carthage, priez pour nous ! Ce titre nouveau, donné à la Vierge Marie, est venu spontanément dans le cœur et sur les lèvres des pèlerins qui admiraient la Vierge Mère du bas-relief de Damous el Karita, la Vierge honorée des carthaginois aux époques romaine et byzantine. Même si ce bas-relief n’a jamais été catalogué comme N.D. de Carthage[4] on peut cependant légitimer cette appellation nouvelle : Notre Dame de Carthage, par le désir de nous rappeler la perpétuité de la dévotion à la Sainte Mère de Dieu, sur la terre d’Afrique. C’est d’ailleurs ce que fait partout la piété chrétienne, pour les lieux où la Vierge accorde plus abondamment ses faveurs et où Elle reçoit les hommages plus nombreux et plus fervents de ses fidèles comme par exemple : Notre Dame de Lourdes en France, Notre Dame de Fatima en Portugal, Notre Dame d’Afrique à Alger.
– Sainte Marie, reine de l’Afrique, priez pour nous ! Cette dernière invocation est un hommage à la souveraineté universelle de la Sainte Vierge. Honorée dès les premiers siècles du christianisme, dans toute l’Afrique chrétienne, comme la Mère de Jésus, le Roi des Rois. Dans cette prière nous lui demandons encore aujourd’hui, selon une ancienne prière composée par le Cardinal Lavigerie, d’être libéré de nouvelles formes d’esclavage surtout moral et spirituel : « O Mère de Miséricorde, vous qui avez vu votre Fils, revêtu de la forme des esclaves, mourir sous vos yeux de leur mort cruelle, ô vous qui l’avez, en conformité avec la volonté de son Père, volontairement sacrifié pour sauver tous les hommes de l’esclavage, ayez pitié, nous vous supplions, des pauvres gens de l’Afrique, exposés en si grand nombre à toutes les horreurs et à toutes les hontes de la servitude ! Obtenez-leur enfin miséricorde par les mérites de la Passion de votre Divin Fils, et conduisez-les à la lumière et à la liberté des enfants de Dieu ! C’est ce que nous vous demandons, ô Vierge Sainte, en retour du culte et de la confiance filiale que nous vous avons voués. Notre Dame d’Afrique priez pour nous et pour tous les africains ! »[5].
Pour augmenter la dévotion des pèlerins envers N. D. de Carthage et les encourager à la prier en se servant des antiques formules africaines, Mgr Combes, en la fête de la Visitation (2 juillet 1912) enrichit d’une indulgence de 100 jours applicable aux défunts chacune de ses invocations.
A la même date, l’Archevêque donna l’autorisation de réciter ces invocations après les messes célébrées à l’autel de N. D. de Carthage dans la Primatiale. En date du 20 mars 1917, sous la signature du Cardinal Ferrata, un rescrit papal, accordait deux autres précieuses faveurs spirituelles pour la chapelle de N. D. de Carthage de la Primatiale.
1) Une indulgence plénière (une fois l’année) pour ceux qui, s’étant confessés et ayant communié, prieront aux intentions du Souverain Pontife, devant la statue de N. D. de Carthage.
2) Une indulgence de 300 jours aux fidèles qui, au moins contrits de cœur, réciteront trois fois le ‘Je vous salue Marie’ devant la statue de N. D. de Carthage.
Un autre rescrit pontifical de Pie XI, en date du 17 mars 1923, accordait aux prêtres pèlerins, la grande faveur de célébrer à l’autel de Notre Dame, la messe votive « de la Vierge Marie » chaque jour de l’année.
On peut aussi mentionner ici que l’Archiconfrérie du Saint Rosaire fut établie canoniquement à l’autel de N. D. de Carthage, par un bref du Pape Léon XIII en date du 14 février 1892.
4. La bannière de N.D. de Carthage
Pour le cinquantième anniversaire de l’ordination sacerdotale du P. Delattre (20 Décembre 1873 – 1923), les paroissiens lui offrirent le cadeau qui était le plus capable de réjouir son cœur d’apôtre de la Sainte Vierge : une bannière de N.D. de Carthage dont il avait lui-même tracé le projet longtemps avant, en exprimant se désir : « Je désire voir les invocations latines, grecques et même arabe, que les africains adressaient à Marie, brodées sur des bannières pour faire connaître à tous, combien l’Eglise d’Afrique, a dès les premiers siècles, honoré la Mère de Dieu ».
La bannière processionnelle de la Primatiale portait, sur un fond de soie blanche, une peinture de la Vierge[6] de Damous el Karita, entourée des antiques invocations à la Mère de Dieu. Au revers, il y avait, brodé en fil d’or, la plaque de terre cuite qui a conservé la prière : Sancta Maria adjuva nos, et les invocations contemporaines. Elle était donc destinée, comme la grande draperie bleue, à proclamer le dogme de la maternité divine de Marie et la confiance des fidèles des premiers siècles et de tous les temps, en sa puissante et maternelle protection. Mgr Lemaitre, le 27 décembre 1923, en bénissant cette bannière, après la messe solennelle du jubilé marial, exprima le désir qu’elle fût portée dans toutes les processions.
[1] Elle mesure 1 m 33 de hauteur, et 0 m 80 de largeur à la base. Elle est le modèle de toutes les représentations de Notre Dame de Carthage : médailles, images, statuettes, plaquettes, cartes postales, etc.
[2] Delattre, L, op. cit., p. 227.
[3] Ces quatre antiques invocations africaines à la Mère de Dieu, traduites du grec, du latin, et de l’arabe en français, sont peintes en lettres d’or au-dessus de l’arcade qui surplombe la table de communion.
[4] En effet, même aujourd’hui elle est cataloguée au patrimoine comme bas-relief de la Vierge à l’enfant.
[5] Delattre, L., op.cit. p. 231.
[6] Cette peinture a pour auteur Madame de Maizière.
[7] Texte cité par le P. Chales sans référence.
Dear Sir/Madam
I am writing a Thesis on Notre Dame De Mellieħa, Malte, and I need some information about a painting of Our Lady of Mellieħa, Malta, that was brought over to La Goulette/Carthabge in 1883 by Cardinal Charles Lavigerie. I came to Tunisia in 2003 but did not find the painting. Later I learned that it was removed from that church.
I would be most grateful if you could help me with some information, photo especially, of this painting. Thank you