Carthage Phénicienne – Punique et Romaine
La cité de Carthage, selon la tradition, fut fondée par Didon (également dénommée Élyssa) en 814 av. J.-C., soit une soixantaine d’années avant sa rivale, Rome, qui finira par la surpasser. Sur la colline de Byrsa, Didon adoratrice de Baal et de Tanit, découpa une peau de bœuf en fines lanières pour délimiter l’étendue de Kart-Hadash, donnant ainsi son origine à la ville punique de Carthage. Les premières relations avec Rome sont pacifiques, mais les épisodes dénommés: « guerres puniques » voient l’antagonisme s’étendre sur plus d’un siècle, de 264 à 146 av.J.-C. Carthage détruite ne revivra de ses cendres qu’en 44 av. J-C. grâce aux Romains sous le nom de « Colonia Julia Kartago », et retenue comme l’une des plus belles villes de l’Empire, « la plus belle après Rome ». Au commencement, César Auguste y expatria plus de trois mille colons, et en raison de son importance, Carthage devint rapidement la capitale de la province romaine : l’Africa Proconsularis. Province sénatoriale, elle est dirigée par un gouverneur, le proconsul, nommé par le sénat. A la fin du IIème siècle, Carthage comptait 300.000 habitants, devenant ainsi, après Rome et Alexandrie, la troisième ville de l’Empire. Devenue capitale administrative de province, la ville joue également un rôle économique et commercial de premier plan dans le bassin méditerranéen (blé, huile, céramique sigillée…). Carthage bénéficia aussi de la faveur des empereurs qui la dotèrent de monuments publics tels que le capitole construit sur la colline de Byrsa, les théâtres, l’amphithéâtre et les thermes. Cette notoriété a fait de Carthage une capitale intellectuelle, regroupant rhéteurs, juristes et écrivains. Il est donc tout à fait naturel que Carthage, même dans un contexte hostile, devienne rapidement la capitale religieuse et le phare de la chrétienté d’Afrique.
2- Carthage chrétienne : vision d’ensemble
La période Chrétienne
Préparée au monothéisme par la philosophie gréco-romaine et par la culture punique, Carthage reçut avec ferveur le message du Christ. Cependant, les origines de la religion du Christ en Afrique sont obscures. Car nous ne possédons aucun témoignage sur les origines exactes de la religion du Christ en Afrique. Le témoignage des Martyrs Scillitains, martyrisés en 180, nous démontre que les disciples du Christ étaient venus évangéliser cette contrée bien avant… En effet, selon une vieille tradition, Saint Pierre serait venu prêcher à Carthage et y aurait laissé Crescens comme évêque… D’après une seconde tradition, les Apôtres, ayant tiré au sort les différentes parties du monde, l’Afrique aurait été attribuée à Simon le Zélote. D’autres[1], racontent que Saint Marc, après avoir établi le siège épiscopal d’Alexandrie, parcourut à l’époque de Tibère, toute l’Egypte, la Libye, la Cyrénaïque et la Barbarie. D’autres encore réservent l’honneur d’avoir converti les Carthaginois à Sainte Photine, la Samaritaine et à sa nombreuse famille. Enfin, si l’on en croit El Kairouani, qui n’est lui-même que l’écho d’une voix plus ancienne, l’Evangéliste Saint Mathieu serait le véritable apôtre du pays, et il y aurait payé de sa vie son ardeur à faire connaître la doctrine du Sauveur.
« El Melchouni dit qu’aucun prophète n’a paru en Afrique. Les premiers serviteurs de Dieu qui y pénétrèrent furent les disciples d’Aiça (Jésus-Christ) sur Qui soit le salut. Parmi eux, était Mathieu le Publicain, qui fut tué à Carthage; il est l’auteur d’un évangile qu’il écrivit en hébreu, neuf ans après l’Ascension du Christ au ciel »[2].
La discussion reste ouverte car dans les lettres aux hérétiques, écrites par Tertullien, Cyprien et Augustin, il n’est fait aucune référence à un argument aussi fort. Cependant c’est Saint Augustin, qui sur cette question, a eu le mot juste : « C’est de toutes les régions de la Méditerranée que l’évangile est venu en Afrique » (Epist. XLIII, 7). Dans un espace ouvert sur l’extérieur comme l’est alors Carthage — le port est notamment relié aux grandes cités d’Alexandrie et d’Antioche qui constituent deux grands centres évangélisation —, le christianisme s’est développé précocement grâce aux importantes communautés juives implantées dans la cité. À la fin du IIème siècle la nouvelle religion progresse rapidement dans la province. En effet, Tertullien écrit en 197 : « Aux champs, dans les forteresses, dans les îles, partout des chrétiens; tous les sexes, tous les âges, toutes les conditions, même les dignitaires passent au nouveau culte… Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout : les villes, les îles, les forteresses, les municipes, les assemblées, les camps même, les tribus, les palais, le Sénat, le Forum. Nous ne vous laissons que les temples… Nous sommes une multitude, nous formons presque la majorité dans chaque ville ». Ce progrès est confirmé aussi par le premier groupe de chrétiens martyrisés le 17 juillet 180 : les Martyrs Scillitains. Au IIIème siècle, la cité devient ainsi l’un des foyers essentiels de diffusion de la nouvelle foi et les affrontements religieux y sont violents avec les païens. L’image des chrétiens est très négative, en effet, elle est associée à tous les crimes dans la société païenne. De plus, un conflit naît avec les autorités romaines, car les chrétiens refusent de rendre le culte impérial et de s’adonner aux mœurs romaines comme les jeux. Par rapport à leur organisation, les chrétiens d’Afrique se réunissaient trois fois par semaine pour prier en commun et recevoir la Sainte Eucharistie : le dimanche, le mercredi, et le vendredi. Jusqu’au IIIème siècle, les chrétiens ne semblaient posséder dans la ville que des cimetières, où ils se réunissaient pour célébrer l’office des morts ou l’anniversaire d’un martyr. En IVème siècle, après l’édit de Milan en 313, la communauté se développe nécessitant la création de lieux de culte plus spacieux (sans doute au départ, en jouant sur la propriété foncière privée des familles, car il existait une interdiction de construire des édifices religieux). Au début du IIIème siècle, on peut compter en Afrique une centaine d’évêques. En principe tous les évêques d’Afrique sont égaux, mais en fait, dès le temps de Saint Cyprien, l’évêque de Carthage joue dans toute la région, jusqu’en Mauritanie, le rôle de primat. Il agit en toute circonstance comme chef de l’Eglise d’Afrique. Carthage et la province d’Afrique sont vite considérées comme le phare du christianisme latin occidental. Tertullien est l’un des premiers auteurs chrétiens de langue latine et Saint Cyprien, son évêque, est martyrisé le 14 septembre 258, à une époque où la nouvelle religion est déjà largement répandue dans la société et son expansion ne va pas sans contrariété: persécutions, hérésies, et schismes.
Le IVème siècle est vraiment l’âge d’or de l’Eglise d’Afrique. A la fin du IVème siècle, le christianisme a fait des progrès considérables dans tout le pays et principalement dans les régions de l’Ouest. Il n’est plus confiné dans les villes maritimes, il a pénétré jusqu’au cœur du pays. La religion du Christ n’est presque plus exclusivement la religion des pauvres gens, elle a fait et va continuer à faire de brillantes conquêtes dans l’élite du barreau, de l’administration, de l’armée et de l’aristocratie: Tertullien, Saint Cyprien, Arnobe, Lactance, Saint Augustin, Aurèle, pour ne citer que les plus illustres convertis de ce temps.
La période Vandale
A la fin du Ier siècle, les Vandales habitaient au nord-est de l’Europe. En l’an 400, ne trouvant plus à se nourrir dans ce pays alors médiocrement fertile, et qu’ils cultivaient d’ailleurs fort mal, les Vandales se mirent en marche vers l’Europe occidentale. En 409, ils pénètrent en Espagne et enfin en 428, sous la conduite de leur roi Genséric, ils quittent l’Espagne pour aller s’établir en Afrique. Genséric songeait déjà certainement à conquérir l’Afrique romaine tout entière, mais auparavant, il jugea nécessaire d’anéantir l’Eglise catholique. Le 19 octobre 439 Carthage est conquise par Genséric et peu après toutes les villes de la province d’Afrique. A partir de ce moment, les persécutions furent générales. Ceux-ci tentèrent d’imposer l’arianisme en lieu et place du catholicisme: la persécution est alors légitimée et les quelque 500 religieux de Carthage sont expulsés. Les historiens contemporains nous montrent les Vandales « traversant en tous sens cette belle Afrique florissante, dévastant, dépeuplant, brûlant et massacrant tout ». A Carthage, sont martyrisés les sept moines de Gafsa.
La période Byzantine
Puis le royaume vandale finit par s’effondrer et l’empereur byzantin Justinien devient le nouveau maître en 533. Bélisaire, envoyé par Justinien, se présenta comme un libérateur aux populations catholiques, aussi bien fut-il reçu comme tel par le clergé dès son débarquement et dans sa marche sur Carthage. Le lendemain, fête de Saint Cyprien, il se rendait solennellement avec les officiers de son état-major à la basilique de l’illustre martyr, située sur les bords de la mer (aujourd’hui les ruines de la basilique de Saint Cyprien au bord de la mer à Carthage) et il la restituait aux catholiques. Cette basilique, Hunéric l’avait donnée aux ariens. Les successeurs de Justinien continuèrent sa politique et pendant plus de quatre-vingts ans l’Eglise catholique d’Afrique put jouir de la faveur des empereurs de Byzance : ses privilèges sont respectés, ses demandes exaucées et des églises s’élevèrent de tous côtés. A Carthage, Justinien fit construire dans le palais impérial une chapelle à la Mère de Dieu, et en dehors du palais, d’autres basiliques sont soit restaurées soit entièrement érigées.
La période Arabe
Et finalement la conquête arabo-musulmane de 698, voit Carthage et le christianisme passer au second plan de l’histoire.
[1] FANTAR, Mohamed Hassine. Tunisie, 30 Siècles de Civilisation, pp. 62-80.
[2] EL KAIROUANI, Histoire de l’Afrique, trad. Pelissier et Rémusat, in 4°, Paris, 1845, p. 26.
Source: Moreno, Silvio, Carthage Éternelle; un pèlerinage dans l’histoire et les ruines chrétiennes de Carthage, FINZI 2013, 14-18.