-Le baptistère de l’Eglise de l’unité en Kelibia[1]
L’œuvre est l’une des pièces maîtresses de ce musée depuis sa découverte dans l’église appelée «de l’unité», à sept kilomètres de Kélibia, plus précisément à Demna. Elle a été trouvée dans les ruines d’une basilique, à proximité de la mer. J’y suis allé plusieurs fois, mais le site est fermé aux touristes. Son état définitif est supposé par les archéologues au moment de la reconquête byzantine. La cuve a été datée de la deuxième moitié du VIème siècle.
Description: La cuve est élevée sur un pavement de mosaïque de forme carrée, décorée sur les angles par quatre cratères (calices de grandes dimensions) desquels s’échappent des rinceaux ou pampres de vigne. Le pavement comporte un seuil sur lequel est inscrit: Pax fides caritas (Paix, foi, charité). Cela ressemble à la salutation de Saint Paul dans ses lettres et donc il est fort probable que soit située ici l’entrée du bâtiment, entraînant une orientation du chrisme présent au fond de la cuve baptismale.
La cuve, en forme de croix grecque, possède un bassin quadrilobé dont chaque bras comporte un degré pour la descente. Tout le rebord est décoré par deux lignes de texte avec les bases des colonnes: «En l’honneur du saint et bienheureux évêque Cyprien, chef de notre église catholique avec le saint Adelphius, prêtre de cette église de l’unité, Aquinius et Juliana son épouse ainsi que leurs enfants Villa et Deogratias ont posé cette mosaïque destinée à l’eau éternelle»; les dédicants et dédicataires sont ainsi nommés.
Signification: Christian Courtois a évoqué la disposition des personnages et la signification du baptistère: «après avoir passé le seuil, le catéchumène trouvait à sa gauche l’évêque. Le message divin était dans sa direction, et il pouvait accéder à la fois à la connaissance de la religion chrétienne ainsi que la récompense par le calice de lait et de miel, un mélange offert au nouveau baptisé.
Tout le décor est symbolique: l’aspirant au baptême était représenté sous la forme d’une colombe. La colombe avec le rameau d’olivier annonce la paix du croyant, l’arche de Noé témoigne de l’unité et de la pérennité de l’Eglise. Un baldaquin témoigne de la victoire du christianisme. La coupe annonce la communion et les cierges symbolisent la foi et le Christ. Les poissons symbolisent les âmes et les arbres évoquent le jardin du Paradis. L’arche de Noé, symbole de l’unité de l’Église, peut témoigner des circonstances d’élaboration de l’œuvre: il s’agit des luttes entre donatistes et catholiques, le donatisme persistant en Afrique jusqu’à la conquête arabe. Les donateurs témoignaient, par le don de l’ouvrage, de leur attachement à la tradition catholique».
Un détail à noter: Adelphius, était évêque de Thasvalte, alors qu’ici il est qualifié de prêtre. Les donateurs voulaient affirmer la prépondérance de l’évêque martyr Saint Cyprien comme primat d’Afrique.
La valeur symbolique est donc forte, témoignant du triomphe du Christ et de la croix ainsi que du Paradis promis aux fidèles par le baptême.
Note sur les baptistères des églises paléochrétiennes[2]
Les baptistères ont été construits à une époque où l’Église baptisait un nombre important de catéchumènes adultes, et pour qui le baptême par immersion était la règle. Du IVème siècle jusqu’au début du VIème siècle, il semble que leur emplacement et leur ordonnance sont laissés au goût du clergé ou du donateur ou à l’ingéniosité de l’architecte. Parfois il s’installe dans l’église elle-même, mais dans le cas le plus ordinaire le baptistère est un édifice distinct et séparé de l’église, mais peu éloigné d’elle. Suivant les ressources locales ou la prévoyance des fondateurs le baptistère est flanqué de diverses salles qui ont servi de consignatoria où les néophytes recevaient le sacrement de la confirmation, ou de tepidaria où ils pouvaient aller se réchauffer et reprendre leurs vêtements. Les baptistères étaient fréquemment de grande taille.
Dans l’Église primitive, c’est habituellement l’évêque en personne qui baptise les catéchumènes de son diocèse (raison pour laquelle les baptistères sont habituellement rattachés à une cathédrale et non à une église paroissiale). «Les catéchumènes s’y préparent en apprenant les éléments de la foi chrétienne, par des prières plus fréquentes, des veilles, des jeûnes, par la confession de ses péchés; celui qui demande le baptême doit renoncer au monde et au démon: «Abrenuntio diabolo, et pompae, et angelis ejus et saeculo». Le baptême peut être donné aux enfants. Tertullien est peu favorable à ce baptême, mais saint Cyprien au contraire ne veut pas que les enfants soient frustrés de cette grâce. On peut l’administrer en tout temps, mais l’époque la plus convenable est celle de Pâques à la Pentecôte. Aussitôt après l’immersion, le baptisé reçoit le corps et le sang du Seigneur, et finalement l’onction et l’imposition des mains qui donnent le Saint-Esprit achèvent le baptême»[3].
La valeur du Baptême chrétien
Pour notre réflexion sur l’importance du baptême aux premiers siècles, nous pouvons lire et méditer ce beau texte qui fait partie d’une homélie de Saint Augustin aux nouveaux baptisés le deuxième dimanche de Pâques: «Ceux qui sont renés dans le Christ, c’est à vous que je m’adresse, enfants nouveau-nés, vous qui êtes des tout-petits dans le Christ, la nouvelle génération mise au monde par l’Église, le don du Père, la fécondité de la Mère, de tendres bourgeons, la fleur de notre fierté et le fruit de notre labeur, ma joie et ma couronne, vous qui tenez bon dans le Seigneur. Je vous adresse les paroles de l’Apôtre : Revêtez Jésus Christ et ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour satisfaire vos convoitises, afin de revêtir par votre vie ce que vous avez revêtu par le sacrement. Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Telle est la force du sacrement: il est le sacrement de la vie nouvelle, qui commence maintenant par le pardon de tous les péchés passés, et qui trouvera son accomplissement dans la résurrection des morts. C’est aujourd’hui l’octave de votre naissance; aujourd’hui s’accomplit en vous le sceau de la foi qui était conféré chez les anciens Pères avec la circoncision de la chair qu’on faisait huit jours après la naissance charnelle. C’est pourquoi le Seigneur en ressuscitant a dépouillé la chair mortelle; non pas qu’il ait surgi avec un autre corps, mais avec un corps qui ne doit plus mourir; il a ainsi marqué de sa résurrection le « jour du Seigneur ». C’est le troisième jour après sa passion, mais dans le compte des jours qui suivent le sabbat, c’est le huitième, en même temps que le premier. C’est pourquoi vous-mêmes avez reçu le gage de l’Esprit, non pas encore dans sa réalité, mais dans une espérance déjà certaine, parce que vous possédez le sacrement de cette réalité. Ainsi donc, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Le but de votre vie est en haut, et non pas sur la terre. En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire».
[1] COURTOIS, Christian, «Baptistère découvert à Kélibia», CRAI, vol. 100, n°2, 1956, p. 138-140.
[2] MORENO, Silvio, op. cit., p. 65.
[3] Cf. Voix II. Afrique (liturgie anténicéenne de l’), dans le dictionnaire d’archéologie et liturgie de Dom Cabrol et Leclercq, pp. 606-607.