Au début de l’invasion vandale dans les terres africaines, (20 juillet 429), Carthage avait perdu son vieil évêque, Aurélius : plus heureux que son ami Augustin, il n’avait vu que les signes qui annonçaient la tempête.
Son successeur Capreolus écrivait en 431 aux Pères d’Ephèse que les maux effrayants dont souffrait l’Afrique, ne lui permettaient pas d’assister au concile. On n’y vit d’ailleurs aucun évêque africain, mais seulement un diacre de Carthage Bessula, délégué par Capreolus.
En 437, celui-ci mourait à son tour, l’âme angoissée de ce qu’il voyait : la moitié des églises d’Afrique agonisant sous les pieds du Vandale et le reste à sa merci; les empereurs impuissants, et Genséric, l’œil allumé de convoitise, campé avec ses hordes à quatre ou cinq jours de marche de Carthage qu’il savait sans défense.
Quel devait être le successeur pour un si lourd héritage ? Quand le clergé de Carthage a eu à le désigner, il choisit le prêtre en qui se révélait l’âme clairvoyante et ferme d’un chef. L’élu se nommait Quodvultdeus, c’était, dit Victor de Vite « un homme bien vu de Dieu et des hommes » «manifestus Deo et hominibus».
Quand les fidèles eurent conduit Quodvultdeus dans la basilique « Restituta », près de laquelle, en pleine ville, les évêques avaient leur résidence au milieu des acclamations habituelles, quels n’auraient été ses sentiments et que put-il leur dire ? On imagine son accablement, son front soucieux, ses larmes voyant son Eglise et sa ville sous la menace d’un si cruel ennemi.
Pendant deux ans, Quodvultdeus n’a pu faire que prier, faire pénitence pour son peuple et lancer des avertissements qui n’étaient pas écoutés. Nous connaissons par les historiens de l’époque que la ville de Carthage, comme tant d’autres villes importantes du monde romain était reconnu par les vices et la vie dissolue, c’est ce que dénonce un africain témoin oculaire dans un sermon de tempore barbarico : « Le pays, dit-il, nage dans le sang, et les habitants ne sentent quelques émotions au cœur que lorsqu’ils sont au spectacle ou au cirque ».
Le 19 octobre 439, Genséric entrait à Carthage, déjà incapable de se défendre. Aussitôt commencèrent les violences, pillages et destructions. On démolit de fond en comble les grands édifices et les beaux quartiers, comme le théâtre, l’Odéon, le temple de Mémoire, la rue de la Dea Cœlestis. Les Vandales laissent basiliques chrétiennes restent debout, mais ils chassent d’elle le clergé catholique, pour y installer leurs prêtres ariens.
Quelques jours après Genséric fait saisir l’évêque Quodvultdeus et quelques centaines de ses clercs : demi-nus, sans argent ni viatique, ils sont poussés vers le port. Les malheureux sont entassés dans quelques vieux bateaux puis poussés en haute mer où on les abandonne.
Dieu veillait sur eux : par un vent favorable, sur les flots paisibles il les mena vers une côte hospitalière, tout près de Naples, où ils reçurent un fraternel accueil. Depuis dix ans, combien de fugitifs de la rage vandale avaient cherché un refuge dans les îles ou sur la terre italienne, n’emportant parfois d’autre trésor que les reliques des martyrs!
Carthage ne revit point son évêque. Quodvultdeus mourut dans son exil, sûrement avant 454, puisqu’en cette année Deogratias lui succède sur le siège de Carthage. Il édifia Naples par ses vertus; son corps y fut enseveli, et bientôt fut admis aux honneurs que l’Eglise réserve aux reliques des saints. Il a reposé d’abord dans l’église de saint Gaudiosus, un de ses compagnons d’exil, ancien évêque d’Abitinia, qui fonda un monastère près de Naples, et laissa une telle réputation de vertu qu’il y compte parmi les saints les plus populaires. Aujourd’hui, c’est à la cathédrale de Naples qu’il faut chercher les reliques de Quodvultdeus.
Le 28 décembre, jour des Saints Innocents nous trouvons dans l’Office de Lecture, une belle homélie qu’il a donnée aux catéchumènes et qui nous a légué, ainsi d’autres ouvrage et avec le grand héritage son exemple de fidélité à Jésus-Christ et à son Eglise.
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En l’an 439, Carthage tombait aux mains des Vandales et leur roi Genséric envoyait son évêque Quodvultdeus, en exile. Pendant une quinzaine d’années, la persécution a fait rage en Afrique. Le siège épiscopal de Carthage, comme bien d’autres, demeura vacant.
Dans les églises confisquées, Genséric avait installé son clergé arien et il avait fait la vie si dure aux catholiques, qu’il pensait n’avoir plus à les craindre. Aussi bien, lorsque Valentinien, en 454, le supplia de permettre qu’un évêque fut élu pour Carthage, Genséric y consentit. On choisit donc un des prêtres de la ville, âgé déjà, dont la haute vertu s’était révélée au cours des persécutions, Deogratias. Il fut consacré devant la communauté en fête, un dimanche, dans la basilique de « Faustus », une de celles que les Ariens leur avaient abandonnées
La fête ne dut pas être bien joyeuse: on tremblait encore aux souvenirs du passé et l’avenir ne paraissait pas assez rassurant. Plus que tous, le nouvel élu devait avoir l’âme soucieuse: quel fardeau sur ses épaules! Il avait connu, enfant, les jours troublés par le schisme donatiste; puis il avait vécu, pendant sa jeunesse cléricale les temps plus heureux où Aurelius de Carthage et Augustin d’Hippone avaient tant fait pour l’union, ces années meilleures où ces deux grands amis avaient saintement gouverné les églises africaines. Depuis lors, comment avait-il pu survivre? Que n’avait-il pas souffert depuis la conquête vandale! Quelle vie dure et pleine d’inquiétudes! Inquiétudes non pour soi; car il avait fait bien des fois son sacrifice, mais pour ces restes tant affaiblis de l’église de Carthage! Il avait vieilli dans ces tristesses et ces labeurs; ses cheveux étaient blancs, ses épaules courbées et son corps tout cassé; mais l’âme était restée jeune et ne connaissait guère le repos.
Ce dut être par acclamation que le peuple le choisit, tant on savait qu’il était le plus digne. Deogratias était sans doute depuis longtemps ce chef reconnu par tous, qui en portait la charge, à qui on avait déjà l’habitude de demander conseil et d’obéir. De lui parle l’écrivant Victor de Vite avec ces mots pleins de reconnaissance: « Pour raconter en détail, dit-il, les merveilles que Dieu a faites par Deogratias, les paroles manqueraient avant qu’on en ait donné une idée ».
Il n’occupa que trois ans le siège de saint Cyprien; jusqu’au bout, il continua son œuvre de reconstruction dans les ruines faites par les barbares. Avant de mourir, il ne vit pas luire l’aurore de meilleurs jours; au contraire, il eut à se pencher sur une nouvelle et grande infortune.
Profitant l’assassinat de l’empereur Valentinien, le roi vandale s’avance sur l’Italie au cours des premiers mois de l’année 455, et au mois d’août, la flotte vandale rentrait à Carthage chargée de dépouilles et de captifs.
Tant de misère émut le vieil évêque et ses fidèles. Il donna l’exemple, vendant tout ce qui lui restait personnellement, et même les vases sacrés: ses fidèles l’imitèrent et des milliers de ces captifs furent rachetés. Les maisons s’ouvrirent pour les loger et comme cela ne suffisait pas, Deogratias mit à leur disposition les deux vastes basiliques « Fausti » et « Novarum ».
Le saint évêque se fit médecin de ces malheureux, leur père: en personne il les visitait, se faisant suivre de remèdes et de vivres qu’on leur servait devant lui. Il né voulut même pas les quitter la nuit; on le voyait se traîner de lit en lit, voulant les voir un à un et s’enquérant avec tendresse si rien ne leur manquait. Il semble que son action en faveur des captifs lui attira l’inimité des Vandales, au point que certains voulaient l’assassiner.
Avant qu’ils eussent réussi dans leur complot, Deogratias mourait: l’excès de ses fatigues, son dévouement sans mesure avait épuisé ce qui lui restait de forces.
Saint Deogratias nous invite avec sa vie à regarder vers le Ciel dans les moments sombres de nos vies, à « rechercher les réalités d’en haut, là où est le Christ, assis à la droite de Dieu » (cf. Col. 3,1). Il a fait sienne deuxième des huit béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt. 5,4) .
Le calendrier romain a fixé sa mémoire liturgique le 5 janvier.
Source : « Saints d’Afrique ». Mgr. Gourlot. 1930