BASILIQUE BIR EL KNISSIA « SAINT AGILEE » A CARTHAGE ET LA PRESENCE DE SAINT FULGENCE DE RUSPE

Entre toutes les ruines chrétiennes de Carthage visibles aujourd’hui (Damous el Karita, Saint Cyprien au bord de la mer, tombeau de saintes Perpétue et Félicité, l’Amphithéâtre, etc.) je voudrais m’arreter sur une basilique au centre de Carthage peu connue, mais qui est, par son histoire et son architecture, d’une importance considérable :

Dans un terrain visitable situé à l’ouest de la voie du TGM et à l’est de la route moderne allant du Kram à La Marsa, entre les banlieues de Douar ech Chott et Salammbô, se trouve un puits dont le nom était autre fois « Bir el Knissia », puits de l’église, révélateur de la présence d’un monument antique que la tradition orale reconnaissait comme une basilique chrétienne.

C’est de cet endroit qu’en 1880 arriva aux mains du P. Delattre, apportée par un arabe, la première épitaphe chrétienne entière qu’il eut la joie de recueillir à Carthage : « Felicitas fidelis in pace ». Ainsi la découverte d’inscriptions chrétiennes avait mis en évidence l’intérêt de ce site et c’est en 1922, à sa grande surprise, que le P. Delattre découvrira une importante basilique cimetériale implantée dans un ancien cimetière païen mais dans un très mauvais état du fait de sa localisation entre deux bourgades très populeuses, le Kram et Douar ech Chott, ce qui suppose toujours des récupérations très intenses de matériaux. La motivation principale du Père Delattre résidait dans la collecte d’épitaphes chrétiennes, dans le repérage d’une église et dans la connaissance de son plan[1].

Que connaissons-nous sur l’église de Bir el Knissia ?

Actuellement il n’y a presque rien sur le terrain mais L. Ennabli[2] nous explique, selon les recherches du P. Delattre, que :

– le monument avait une direction nord/nord-ouest/sud/sudest.

– L’abside etait complètement disparu.

– Le quadratum populi possédait deux colonnades de dix colonnes qui déterminent trois nefs et onze travées. Des bases de colonnettes ou poteaux de chancel fermant l’espace réservé aux prêtres avaient été repérées à hauteur de la huitième travée de la nef centrale ; d’autres, découvertes lors de la fouille de 1990, montrent un prolongement plus étroit du chœur.

– Les tombes insérées dans le sol de l’église sont très souvent recouvertes de mosaïque ; ce qui est rare à Carthage, où, dans la plupart des églises, les tombes sont recouvertes de dalles qui constituent le sol de l’édifice. À Bir el Knissia, le sol était en mosaïque et les fragments encore in situ laissent entrevoir des motifs floraux.

Historique : selon les études des archéologues la basilique a été construite à la fin du Vème ou au tout début du VIème siècle. Dans la période justinienne à Carthage (533-565) on voit que c’est une période où l’église cimetériale joue pleinement son rôle. Il s’agit peut-être de dépositions ad sanctos. Ensuite la période post-justinienne (570-575) laisse voir une grande activité dans l’église. Finalement la dernière phase d’activité dans ce monument a lieu vers 650. La communauté semble encore en pleine prospérité. À la fin du VII siècle, lors de sa destruction, il semble donc que l’église de Bir el Knissia n’était pas à l’abandon mais venait d’être réparée, sans que sa surface eût été réduite, contrairement à tous les autres édifices de culte que nous connaissons (par exemple Domus el Karita).

Ainsi donc la basilique cimetériale de Bir el Knissia tient son originalité de sa construction tardive (Vème), et de la permanence de son activité jusqu’à la fin du VIIème siècle. Cela offre, selon L. Ennabli, de grandes similitudes avec ce que nous savons de l’histoire de la basilique de Saint-Agilée.

Agilée fut un martyr de Carthage au IVème siècle fêté le 25 janvier, mais nous ne savons presque rien de son martyre. En effet, sa notice au martyrologe est très brève. Cependant Possidius de Calama, dans l’inventaire des œuvres d’Augustin qu’il a établi pendant le siège d’Hippone, signalait un sermon disparu depuis, et qui aurait été prononcé par Augustin, un 25 janvier, en l’honneur du martyr Agilée auprès de sa tombe. En revanche sa basilique était connue dans les textes comme :

  1. a) Coemeterium sancti martyris Agilei dans les Laterculus Regnum Wandalorum et Alanorum : en lisant ce registre des rois vandales, nous apprenons, que le coemeterium du saint martyr Agilée fut donné aux catholiques par Gunthamund, fils de Gento, frère du roi Hunéric, la troisième année de son règne, soit en 487, Eugène, l’évêque de Carthage, ayant été déjà rappelé d’exil : « Post eum regnavit Guntamundus Gentunis ejusdem Hunerici régis fratris filius annos XI, menses IX, dies XI. Qui tertio anno regni sui coemeterium sancti martyris Agilei apud Carthaginem Catholicis dare praecipit, Eugenio Carthaginiensi episcopo, ab eodem iam in exsilio revocato ». Cette restitution indiquait une politique plus clémente envers les fidèles catholiques ne les contraignant plus à trouver d’autres lieux secrets, et peut-être plus éloignés de la ville, pour leurs réunions.
  2. b) Ecclesia sancti Agilei : dans les mêmes récits de vandales nous lisons qu’en 523, au début du régne de Hildéric, fils de Hunéric, qui régna 8 ans, 8 jours, et restitua à tous la liberté de culte, l’évêque Bonifatius fut consacré dans l’église de Saint- Agilée : « Post regnavit Hilderix, filius Hunerici, annos VIII, dies VIII. Qui in exordio regni sui Bonifacium episcopium apud Carthaginem in ecclesia sancti Agilei ordinari praecipit, et omnibus libertatem restituit ».
  3. c) Agilei basilica: Ferrand, Fulgentii Ruspensis vita, prolegomena, XXVI. Ce texte de la vie de saint Fulgence nous montre que l’église existait au début du VIème siècle puisque c’est dans cette même église que le saint évêque de Ruspe fut accueilli à son retour d’exil en Sardaigne en 516/517, ainsi que le raconte son biographe Ferrand : « Ad sancti quippe Agilei basilicam sequens populus et praecedens confessorum beatorum triumphum nobile celebrat. […] Immensa pluvia neminem terruit ; […] et isti faciebant qui propris indumentis beati Fulgenti nudum caput unanimiter protegebant». Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient les bienheureux confesseurs leur firent un cortège triomphal jusqu’à la basilique de Saint- Agilée. […] Cette pluie torrentielle n’effraya personne [. . .] ils protégeaient avec leurs propres habits la tête nue du bienheureux Fulgence).
  4. d) Basilica sancti martyris Agilei: enfin un concile se tint très officiellement dans le secretarium de la basilique du 5 ou 6 février 525 : «Anno secundo gloriosissimi Hilderici, nonas februarias Kartagine in secretario basilicae sancti martyris Agilei».

Conclusion : De toutes les descriptions que nous avons données grâce aux textes il faut conclure que la basilique de saint Agilée était située hors les murs, puisqu’elle était entourée d’un cimetière et qu’elle ne devait pas être très éloignée des ports, vu l’anecdote de l’arrivée de saint Fulgence. Donc « l’hypothèse, conclue L. Ennabli, de l’existence d’une basilique cimetériale, située au Kram, plus directement au sud des ports, et qui répondrait à ces mêmes critères, ne peut être écartée. Après les dernières fouilles, outre sa situation, l’église de Bir el Knissia présente maintenant une histoire qui paraît correspondre à ce que les textes nous apprennent sur la basilique de Saint- Agilée ».


[1] Cf. A.L. Delattre, La Basilique de Bir-el-Knissia à Carthage, Tunis.

[2] Cf. L. Ennabli, Carthage, une métropole chrétienne du IVème à la fin du VIIème siècle, CNRS, Paris, 1997, p. 113- 120.

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