Le 15 mai marque un moment décisif dans l’histoire de l’imposant édifice de la cathédrale de l’antique Carthage. C’est sur la colline de Byrsa qu’en 1890, après que s’est achevée l’édification aux côtés de la chapelle Saint Louis de la cathédrale Saint-Louis de Carthage, que celle-ci fut consacrée le 15 mai de la même année. Elle a été bâtie en l’honneur de ce roi capétien de France qui mourut de la peste à Carthage en 1270, durant la huitième croisade. Cette ancienne cathédrale catholique est aujourd’hui désaffectée à l’exercice du culte, depuis qu’elle a commencé à être connue à partir de 1993 sous le nom de l’Acropolium, lieu culturel accueillant des événements comme des concerts ou des expositions.
Le terrain de ce sublime édifice visible de toutes parts aux alentours de Carthage en surplombant la ville depuis le sommet de la colline de Byrsa, avait fait l’objet d’une cession à l’Eglise catholique en 1830. Cession dont les termes ont été fixés dans un texte signé par Hussein II Bey et écrit à l’adresse du consul général de l’époque, Mathieu de Lesseps. « Nous cédons à perpétuité à Sa Majesté le roi de France un emplacement dans le Malka [royaume], suffisant pour élever un monument religieux en l’honneur du roi Louis IX, à l’endroit où [il] est mort. Nous nous engageons à respecter et à faire respecter ce monument consacré par le roi de France à la mémoire d’un de ses plus illustres aïeux. Salut de la part du serviteur de Dieu, Husem-Pacha-Bey. Que le Très-Haut lui soit favorable ! Amen. » (Cf. Georg Friedrich von Martens dans Nouveau recueil de traités. Ouvrage poursuivi par Friedrich Murhard.)
La chapelle
Ce texte autorise d’édifier une chapelle, dont l’emplacement fut fixé sur le grand terrain de la colline. Plus tard, Ahmed Bey laissa également « entière liberté » au Consul de France pour la désignation du terrain. « L’acte de 1830, en effet, ne fixait pas avec précision le lieu d’érection du monument à saint Louis », comme on peut le lire dans la revue Cahiers de Byrsa dans un numéro publié en 1951.
La chapelle se caractérise par une architecture alliant style gothique et structure byzantine. Une croix, la seule debout à cette date en Tunisie, surmontait l’édifice. L’histoire de cette chapelle, « ancêtre » de la cathédrale, mérite une petite relecture historique. En effet, c’est le roi Louis-Philippe qui « conçut aussitôt le projet de bâtir, à ses frais […] une chapelle sous l’invocation de saint Louis, dans laquelle une messe solennelle put être célébrée, tous les ans, le 25 août. […] En cette occasion la colline fut officiellement dénommée : Mont Louis-Philippe. […] », rappelle encore Cahiers de Byrsa. La cérémonie de « prise de possession » eut lieu le 29 juillet 1840, en présence de notabilités importantes, dont « Si Mahmoud » [Mahmoud Khodja, NDLR], ministre de la Marine et de l’amiral Rosamel, commandant de l’escadre française en station dans la rade de Tunis. La première pierre de la chapelle fut posée solennellement le 25 août 1840. Une cérémonie célébrée en grande pompe, puisque « cette pierre, vestige d’un monument antique, fut scellée par le Chevalier de Lagau et l’amiral Rosamel, qu’escortaient des marins en tenue de combat avec tambours et clairons » !
L’aide précieuse d’Ahmed Bey et de « son peuple »
Par ailleurs, c’est le même « Si Mahmoud » qui fit dresser aux alentours du lieu de construction deux tentes, « envoyées du Bardo par Ahmed Bey, et qui servirent par la suite d’abri aux ouvriers qui travaillèrent à la chapelle». «Si Mahmoud» se chargea également lui-même d’assurer le ravitaillement en eau, nécessaire aux ouvriers comme aux besoins des travaux de construction. « Tous les jours, douze chevaux en effectuaient le transport au sommet du mont Louis-Philippe », précise la même revue.
Enfin, sur une plaque de marbre blanc, au-dessus de la porte d’entrée du côté de sa partie intérieure, une inscription composée par M. Reinaud, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et par la section des Langues orientales de l’Académie des Sciences de l’Institut de France, mentionnait le texte suivant :
ICI EST MORT
LE SULTHAN MAGNIFIQUE ET JUSTE
LOUIS, FILS DE LOUIS, REY DE FRANCE
DIEU AIE PITIÉ DE LUI
CE LIEU A ÉTÉ DONNÉ POUR TOUJOURS
PAR L’ÉMIR ILLUSTRE AHMED BEY
AU SULTHAN DE FRANCE
QUICONQUE RESPECTERA CE MONUMENT, DIEU LE BÉNIRA
IL N’Y A PAS D’AUTRE DIEU QUE DIEU
Les auteurs des Cahiers précisent que cette inscription ainsi qu’une autre, toutes deux gravées en français au-dessus, en dehors et en dedans de la porte de la chapelle, furent « répétées en caractères arabes sur les trois faces extérieures des avant-corps formant la croix autour du dôme ».
Consécration en 1890
Edifiée non loin de la chapelle Saint-Louis, la future église cathédrale voit ses travaux de construction commencer en 1884, soit trois ans après l’instauration du Protectorat français de Tunisie. Plus précisément, comme le souligne Cahiers de Byrsa, la première pierre, « provenant des vestiges de l’antique basilique chrétienne de Damous el-Karita [église datant de l’antiquité tardive et de la période byzantine, NDLR], fut posée solennellement le dimanche de l’octave de la fête de Sainte-Monique en 1884 ». Elle fera l’objet d’une consécration le 15 mai 1890.
La célébration de cet événement historique, marqué par une rituelle cérémonie liturgique tenue en présence de nombreux hiérarques ecclésiastiques, érige l’édifice en « Maison de Dieu ». Elle devient cathédrale primatiale, c’est-à-dire le centre névralgique de la primatie d’Afrique, lorsque le titre de primat d’Afrique, après le rétablissement par le pape Léon XIII (via sa bulle Materna Ecclesiae caritas) du siège primatial de Carthage, est conféré au prélat français Charles Martial Lavigerie, titulaire des sièges épiscopaux d’Alger et de Carthage, créé cardinal en 1882 et figure de proue de la lutte contre l’esclavage. A sa mort, le cardinal Lavigerie y est inhumé et un monument funéraire y est élevé pour rendre hommage à sa mémoire.
Désaffectée à l’exercice du culte et cédée à l’Etat tunisien en 1964, c’est en 1993 que cette cathédrale sera reconvertie en espace dédié à des événements culturels.
Texte: Nejiba BELKADI, journaliste
Photos: P. Silvio MORENO, ive, archiviste du diocèse de Tunis