ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNE DE CARTHAGE (I)

CARTHAGE PLAN

 

Carthage occupe une place importante dans l’histoire de l’archéologie chrétienne, derrière Rome et Constantinople. Elle doit cette place à son passé de capitale régionale de l’Afrique, à la célébrité que lui valent dans l’histoire de l’Eglise, les luttes donatistes et les écrits de Saint Augustin, mais aussi à l’action prolongée du P. Delattre qui, de 1875 à 1932, a imprimé sa marque au site comme De Rossi à Rome ou Mgr Bulic à Salone. Ce père Blanc de bonne volonté a sauvé une partie de l’histoire chrétienne de ce pays ensevelie depuis longtemps.

Le Cardinal Lavigerie, le père Delattre et la découverte de Carthage[1] :

Des principaux monuments de l’antique Carthage, surtout de la Carthage chrétienne, il n’apparaissait plus rien et on en ignorait même la place. « C’est surtout la Carthage chrétienne qui a disparu », écrivait M. de Sainte-Marie, consul de France, en 1876, dans les Missions catholiques, et il ne donnait dans son travail sur l’histoire religieuse de la Tunisie qu’une seule inscription chrétienne de Carthage. On ne pouvait donc compter que sur les fouilles pour retrouver la trace des monuments chrétiens. C’est ce que comprit si bien le Cardinal Lavigerie (photo). Ayant obtenu, en 1875, du Saint-Siège et du Gouvernement français la garde du sanctuaire de Saint-Louis, il y envoya ses missionnaires, leur recommandant par une lettre spéciale de joindre les recherches archéologiques à l’exercice de la charité, qui devait être tout d’abord leur occupation principale: « veiller sur les trésors cachés qui les entouraient et de travailler à les découvrir ».

L’éminent prélat jugeait avec raison que, sur les ruines d’une ville qui a joué un si grand rôle dans l’histoire, en particulier aux premiers siècles de l’Eglise, la religion devait encourager les recherches.

Dans sa lettre célèbre à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (avril 1881) sur l’utilité d’une mission archéologique à Carthage, le Cardinal Lavigerie s’exprimait ainsi : «…L’humble ouvrier de la Providence, tel est aussi le titre que le Père Delattre aimait à se donner, et, il faut l’avouer, la Providence l’a admirablement servi pendant les cinquante-six années d’activité intelligente et inlassable qu’il a consacrées à la résurrection de Carthage. Aussi bien, est-ce à Elle, qu’il faisait remonter l’honneur d’avoir été la première à prouver que « tout n’avait pas péri à Carthage et qu’on pouvait y rencontrer encore de merveilleux monuments ».

Louis Alfred Delattre naquit en 1850, à Deville-les-Rouen, dans la banlieue de la capitale de la Normandie. Pendant son grand séminaire, il se sentit appelé par Dieu à la vocation de missionnaire dans la société nouvellement fondée à Alger par le Cardinal Lavigerie, mais le Cardinal de Bonnechose ne lui permit de partir pour l’Afrique qu’après son diaconat. Entré au noviciat des Pères Blancs, le 19 juin 1873, il prenait l’habit le 1er juillet et, le 20 décembre suivant, le Cardinal Lavigerie l’ordonnait prêtre dans la chapelle du grand séminaire de Kouba. Admis définitivement dans la Société des Pères Blancs, le Père Delattre fut désigné pour la mission de Laghouat, mais il n’eut pas à s’y rendre car, en décembre 1874, le Cardinal Lavigerie l’envoyait au Canada quêter pour l’œuvre des orphelins arabes.

Quand le Cardinal Lavigerie envoya ses missionnaires à Saint-Louis de Carthage, il les chargea, tout en exerçant la charité auprès des indigènes, «…de veiller sur les trésors cachés qui les entouraient et de travailler à les découvrir ». «…Comme il faut cependant qu’une œuvre, pour vivre et se développer, s’incarne dans un homme, c’est le R.P. Delattre, dont le nom vous est déjà connu, qui est définitivement chargé par moi de ces travaux d’archéologie. Il a vraiment le feu sacré, comme ses nombreuses communications ont pu le prouver à l’académie.»

 

Comment a-t-on découvert les ruines à Carthage ?

Arrivé à Carthage dans les premiers jours de novembre 1875, le Père Delattre fut chargé tout particulièrement de donner ses soins aux indigènes malades qui venaient à Saint Louis ou qu’il allait visiter dans leur pauvre demeure. Pour lui prouver leur reconnaissance, ceux-ci lui apportaient des inscriptions ou des objets qu’ils avaient recueillis dans leurs champs. Ainsi naquit le Musée qui porte aujourd’hui le nom de Musée de Carthage. D’autre part, le Père Delattre ne tardait pas à fouiller « patiemment le sol » avec une « méthode excellente et un zèle infatigable », selon les propres expressions d’un membre de l’institut, M. Héron de Villefosse.

C’est surtout la « Carthage chrétienne » qu’il fait, pour ainsi dire, revivre sous nos yeux, avec son amphithéâtre où les chrétiens furent dévorés par les bêtes, et ses plus belles basiliques, dont l’une, la « Basilique majeure » qui gardait dans la « confession », les corps sacrés des plus célèbres martyrs de Carthage, Sainte Perpétue et Sainte Félicité. C’est aussi dans cette basilique que prêcha plusieurs fois Saint Augustin.

Des trois basiliques que la piété des fidèles de Carthage avait dédiées à leur grand évêque, Saint Cyprien, le Père Delattre, semble-t-il en a retrouvé deux : celle qui était située près de la mer, et celle qui s’élevait au lieu même de son martyre. C’est encore à lui que l’on doit la découverte de la basilique de Bir-el-Knissia (peut-être la basilique de Saint Agilée dont parle Ferrand, diacre de Carthage, dans la Vie de Saint Fulgence, évêque de Ruspe) et la basilique de Damous el-Karita. Par ces découvertes, le P. Delattre a montré combien peu fondées étaient les assertions de certains archéologues qui prétendaient qu’il n’était plus possible, après des siècles de dévastations et de ruines, de retrouver des vestiges de la Carthage chrétienne.

Le Père Delattre a fait connaître ses découvertes dans un grand nombre de publications, la plupart illustrées; leur nombre s’élevait en janvier 1932, à 235.

Citons parmi les plus intéressantes :

La basilique voisine de Sainte-Monique.

L’area chrétienne et la basilique de Mcidfa.

La basilique de Bir-el-Knissia.

Le culte de la Sainte Vierge en Afrique.

Carthage mariale. Dix années de trouvailles.

Saint Louis et sa dévotion à Marie.

Sceau du pape Honorius, Sceau de Jean, diacre de Blakeries.

La présentation du Cœur de Jésus dans l’art chrétien.

Les symboles eucharistiques.

Le Père Delattre était venu en Afrique pour conquérir des âmes à Jésus-Christ. Si dès les premiers temps, il se livra par obéissance, de toute son âme, à l’archéologie, il resta cependant toujours missionnaire et la Providence lui ménagea le bonheur de découvrir dans les ruines de la basilique de Damous el-Karita, une Vierge des premiers siècles chrétiens. S’il eut une grande dévotion à Saint Louis, roi de France, l’autel de Notre-Dame de Carthage avait cependant ses prédilections. C’est à son autel que le Père Delattre célébrait de préférence le Sacrifice de la Messe. C’est à ses pieds qu’il aimait à réciter chaque jour le Rosaire. C’est enfin à Notre-Dame de Carthage qu’il consacra son dernier travail archéologique, en étudiant une bulle byzantine, représentant la Sainte Vierge, qui avait été découverte à Carthage et qui lui fut remise le jour de Noël. Le Père Delattre mérita ainsi le grand honneur, que voulut bien lui faire Son Excellence Monseigneur Lemaître, de dormir son dernier sommeil devant l’autel de celle qu’il avait tant aimée et tant priée.      


[1] DELATTRE A.L. « L’archéologie et le congre eucharistique de Carthage », pp.1ss.

 

 

 

 

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