Dans nos promenades pour la Tunisie ancienne et chrétienne, nous avons trouvé le plan architectural qui est servi de modèle à notre Cathédrale de Tunis. A 9 kilomètres à l’ouest de Béja, au lieu-dit Henchir-Rhiria, près de la piste d’Ain Draham, l’ancienne voie romaine de Vaga à Thabraca (Tabarka), traverse un étroit plateau qu’occupait à l’époque byzantine une agglomération de quelque importance, dont une basilique, des citernes et des restes de constructions diverses attestent encore l’existence[1]. Cette agglomération a persisté au moins jusqu’à la fin du VIème siècle, ainsi que le prouve l’inscription suivante, découverte au mois d’octobre 1910 près de la basilique : la forme caractéristique de certaines lettres ainsi que la nature des formules employées empêchent de la faire remonter à une époque antérieure :
+AUREA FIDELIS IN PACE BIXIT
ANNOS VIII MNS VIII DP SD
VIII KL IVLIAS INSP M +
Aurea fidelis in pace bixit annos octo, m(e)n(se)s octo, d(e)p(osita)
S(ub) d(ie) octavo k(a)l(endas) Iulias. In sp(e) (?) m(ortua) (?)
Du chemin nous pouvons voir parfaitement la basilique en ruines, envahie par les chardons et les herbes sauvages ; des débris de toutes sortes s’y sont accumulés recouvrant en certains endroits le sol primitif ; l’ensemble est cependant assez bien conservé pour permettre une étude complète du monument.
Mesurée extérieurement, la basilique a, dans ses plus grandes dimensions 19m, 13 de long et 22 de large, 14m, 18 et 13. Les murs sont construits avec grand soin en moellons de petit appareil disposés en assises régulières qu’interrompent de distance en distance des chaînages de pierres de taille présentant par endroits sur la façade extérieure des bossages très accusés ; solidement bâtis et d’une très grande épaisseur, ils se dressent encore à une hauteur qui dépasse 8 mètres en certains points.
Trois portes percées dans la façade donnent accès au quadrutum populi (emplacement des fidèles) au fond duquel s’ouvre une très belle abside, orientée à l’est. Deux rangées de trois piliers à chacun desquels un autre correspondait le long des murs latéraux ou sur la face interne du mur de l’ouest et que reliaient des arcs, divisaient la salle en trois nefs, la nef centrale et les bas-côtés, plus étroits étaient voûtés : d’un pilier à celui qui lui faisait face le long du mur, était jeté un arc doubleau. Enfin, pour remédier à la poussée trop forte qu’auraient exercée sur le mur de façade les deux rangées d’arcades, deux contreforts, inégaux du reste, les contrebutaient extérieurement.
Quiconque se rend sur le site, sera immédiatement frappé de la position qu’occupent les deux sacristies, situées à droite et à gauche. Sans doute le diaconicum, destinée aux ministres de l’autel et la prothesis, destinée à recevoir les offrandes des fidèles. Au lieu d’encadrer l’abside, comme dans toutes les églises africaines, elles s’ouvrent sur les murs latéraux. Celle du nord, presque carrée, a deux portes et dont la plus étroite seule est voûtée. La sacristie sud est plus curieuse. On y pénètre par une porte dont le linteau est à 2m au-dessus du niveau actuel ; le mur sud-est étant complètement détruit, sont creusées de niches demi-cylindriques, et voûtées en cul de four. Selon les archéologues tant que des fouilles n’auront pas été entreprises sur ce point, il sera difficile de dire à quelle destination elles répondaient. Cependant ce qui doit retenir l’attention, c’est la position même des sacristies. En effet, à mon avis les chapelles latérales de la Cathédrale de Tunis (aujourd’hui du saint-Sacrement et du Sacré Cœur) réalisent parfaitement l’idée de ces deux sacristies de l’ancienne basilique. P. Monceaux a fait remarquer que cette position est «exceptionnelle dans l’architecture du pays » et que le transept ainsi dessiné est une anomalie en Afrique[2]. En effet, affirme M. Massigli, pareille position du diaconicum, et de la prothesis est sans exemple en Afrique et que c’est en Orient, en Syrie ou en Asie Mineure, que nous la retrouvons : Henchir-Rhiria rappelle de très près Kalat Sem’an et Daoulé. Nouvel exemple des rapports étroits qui unissent l’architecture africaine à l’architecture orientale.
Cependant dans cette humble basilique, un autre détail encore attire l’attention. La présence d’un transept[3] dans une église byzantine d’Afrique est assurément un fait curieux. Les archéologues affirment très justement que les monuments chrétiens de l’Afrique du Nord ressemblent beaucoup plus à ceux de la Syrie et de l’Egypte qu’à ceux de Rome où l’on trouve des transepts. Or, M. Massigli s’interroge : devons-nous admettre à cette théorie des corrections et que, dans certains cas, une influence romaine directe, a pu s’exercer ? Il répond négativement, en effet les recherches archéologiques et les différentes publications ont mises en lumière, parmi leurs plus importants résultats, celui de faire connaître l’existence en Asie Mineure d’églises à transepts : Sagalassos (première ville antique de la Pisidie, Turquie), Gul-Bagtché (Turquie). Une origine orientale est donc ici encore très vraisemblable.
[1] Cf. Massigli René. Notes sur quelques monuments chrétiens de Tunisie. In : Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 32, 1912, pp. 18-26.
[2] Cf. Paul, Monceaux, Bulle de la Société des Antiquaires, 1908, p. 174-176.
[3] Un transept se définit essentiellement : « un vaisseau central placé devant l’abside et de même hauteur que la nef centrale du quadratum ». Exactement comme nous le voyons à la Cathédrale de Tunis.